Aller au contenu

Page:Thibaudet - La Campagne avec Thucydide, 1922.djvu/143

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Thucydide marque bien ici ce qui distingue des vrais Hellènes ces demi-barbares, mal hellénisés. Et la distinction est sans doute analogue entre l’occidental, Français ou Allemand, et le moujik moitié asiatique de la Moscovie. Ceux-ci sont poussés par un sentiment aveugle d’égalité, ceux-là ont pour mobile l’ambition de s’élever au-dessus des autres. Même dans les révolutions en apparence semblables le barbare et le civilisé se distinguent : le barbare conçoit la révolution comme l’acte propre de la barbarie qui est de détruire ce qui le dépasse, et, simplement, de détruire ; le civilisé la conçoit malgré tout comme un acte de civilisation qui est, pour lui, de se construire lui-même au-dessus d’autrui, et, simplement, de construire. L’instinct d’égalité chez l’un, l’instinct d’ambition chez l’autre peuvent se ressembler momentanément dans leurs effets ; ils ne se ressemblent pas durablement par leurs effets. Chez les civilisés la révolution, en déchaînant les ambitions, c’est-à-dire des puissances constructrices, aboutit à de la construction, produit ses conventionnels et son Bonaparte. Et, comme la barbarie est toujours un état provisoire, il se peut aussi que la révolution russe arrive à cet état constructeur. En Grèce, cette destruction apparente d’hommes qu’est la guerre du Péloponèse s’achève par une construction étonnante et imprévue : celle de ces grands types d’aventuriers cosmopolites, d’artistes raffinés, de philosophes solitaires qui, d’Alcibiade à Démétrius Poliorcète, d’Alcamène à Scopas, de

    raisons philologiques qu’il en donne sont peu concluantes ; le rythme de la pensée paraît bien authentiquement du pur Thucydide, bousculé et ravaudé çà et là par les copistes, et la psychologie d’une révolution faite par la populace y est prise, dans sa profondeur et ses dessous, avec le même génie schématique qui éclate dans les chapitres précédents.