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Page:Thibaudet - La Campagne avec Thucydide, 1922.djvu/153

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le portait son génie ? En tenant ce langage ils n’eussent rien avancé que de rigoureusement vrai, comme le prouva Alcibiade lui-même.

Cette affaire de trahison, qui au moment le plus aigu de tel guerre naît des mœurs et de l’esprit politique propres à une démocratie, elle nous figure — et il ne faut pas s’en étonner — les affaires de trahison écloses pendant la grande guerre dans une autre démocratie. M. Caillaux n’eut jamais cette souplesse heureuse d’intrigue, cette audace géniale, cette santé débordante et effrontée qui caractérisent l’ambition d’Alcibiade. Il a joué en partie, il aurait pu jouer en plus grande partie, les circonstances l’aidant, un rôle analogue. Pas plus qu’Alcibiade avant sa désertion à Sparte, il ne semble avoir commis d’acte propre de trahison. Seulement ceux qui, dans l’intérêt de leurs jouissances ou de leur ambition personnelle, souhaitaient et favorisaient par des trahisons proprement dites la victoire de l’ennemi, considéraient M. Caillaux comme leur chef éventuel et l’homme d’état qui, désigné pour prendre le pouvoir en cas de victoire allemande, serait appelé à satisfaire leur avidité et leurs haines politiques. C’était sans qu’il le sût qu’on tirait sur lui une lettre de change, mais en se réservant de la présenter à un moment où il ne la protesterait pas. S’il ne connaissait pas officiellement l’existence de cette lettre de change, ses ennemis politiques et des patriotes la pressentaient ou la connaissaient. De là en France, au début du ministère Clemenceau, un état d’esprit analogue à celui qui règne à Athènes lorsque les affaires des Hermès et des mystères mettent sur la piste de la trahison, des complots et de l’intelligence avec l’ennemi. Heureusement l’analogie s’arrête là, car M. Caillaux ne commandait pas d’armée. Mais