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Page:Thibaudet - La Campagne avec Thucydide, 1922.djvu/182

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en Crète) les mêmes effets. « Les habitants de Chios sont à ma connaissance les seuls, avec les Lacédémoniens, qui aient su garder la modération dans la prospérité et qui, au fur et à mesure que la cité s’accroissait, y aient établi un ordre plus serré. » (VIII, 24). Je ne puis traduire ici toute la portée du texte de Thucydide : « ὅσῳ ἐπεδίδου ἡ πόλις αὐτοῖς ἐπὶ τὸ μεῖζον, τόσῳ καὶ ἐκοσμοῦν τὸ ἐχυρώτερον ». Il donne tout à fait l’impression de la loi spencérienne : accroissement de systématisation et d’organisation accompagnant nécessairement, dans l’ordre naturel, l’accroissement de complication. Et plus loin Thucydide dit que « les habitants de Chios avaient plus d’esclaves qu’aucun peuple, excepté les Lacédémoniens, et leur multitude nécessitait une grande rigueur dans leur discipline. » (VIII, 40). Ces deux analogies que Thucydide disperse en deux passages se réunissent d’elles-mêmes, la dernière faisant fonction de cause et la première d’effet, à Chios comme à Lacédémone.

La guerre du Péloponèse entraîne Chios, aussi bien que Sparte, hors de cette mesure, de cette sagesse, de cette discipline stricte exigée par les circonstances, les mène tournoyer et se briser dans la vie tragique de l’histoire. C’est l’ambition d’Athènes, c’est la loi de la thalassocratie athénienne qui les y conduisent. Et puisque la paix, la concorde, la justice et l’humanité sont en effet les plus grands des biens, nous condamnerons, si on veut, Athènes, mais sans pouvoir faire qu’elle même n’ait tracé le schéma idéal de cette condamnation et ne l’ait attachée à son génie. Quand Socrate comparaît devant les juges, c’est dans le génie même de sa cité que cet Athénien de pur race enveloppe son apologie : il se compare à un taon, à un taon que les dieux ont