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Page:Thibaudet - La Campagne avec Thucydide, 1922.djvu/24

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sain, jeune, fort et joyeux, fait l’amour et n’écrit pas sur l’amour ; il ne lit pas non plus de livres écrits sur l’amour. Le sujet l’intéresse comme action, et non comme dissertation. »

Attitude élégante chez l’auteur de Sixtine et de la Physique de l’amour, mais, comme toutes les affirmations de ce genre, cela n’est vrai qu’à moitié. M. Desmaisons trouverait ici de quoi répondre à M. Delarue. Cet état de santé, de jeunesse, de force et de joie parfaites, on le verra par exemple chez un jeune Anglais construit pour l’eau froide, le foot-ball et la chasse au renard ; il donne admirablement un bonheur de surface, sans dessous, et, après tout, le bonheur tout court. Aimer sans complications sentimentales fait partie de ce bonheur, y tient une place analogue à celle des autres satisfactions normales, tant physiques que morales. Qui a tiré cette destinée à la loterie ne pouvait évidemment amener un meilleur numéro. C’est là faire l’amour au sens presque tout physique où l’entend Gourmont, mais est-ce connaître l’amour, sentir l’amour, vivre l’amour, avec la signification que toute la sensibilité moderne, particulièrement française, donne à ce mot, et qu’un grammairien est par conséquent obligé de lui maintenir ? Certainement non. L’amour, tel qu’il existe pour des amants de chez nous, pour des amants français, est tout de même quelque chose d’un peu plus délicat, multiple et tourmenté. L’amour n’intéresse comme action et non comme dissertation que s’il est tout physique, et l’amour purement physique n’est peut-être comme l’individu isolé qu’une abstraction sociale. Il comporte chez tout être un minimum de cristallisation. Or, cristalliser, c’est disserter. Faire l’amour, pour un homme, c’est déjà écrire sur l’amour. Écrire sur l’amour, c’est encore faire