Aller au contenu

Page:Thibaudet - La Campagne avec Thucydide, 1922.djvu/261

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et à nos partialités terrestres, étiqueter selon ses catégories propres un univers moral qui n’est pas le sien, transporter les incompatibilités et les haines nationales dans le monde de l’intelligence, arracher des pages à l’Évangile, interdire à un Français, sous peine d’exécrables injures, la philosophie de Kant et la musique de Wagner. Il est facile d’apercevoir tout un domaine où une ruée de nationalisme immodéré amènerait la déchéance de l’Européen moderne.

Il y a une forme morte de l’internationalisme, et il y arrive beaucoup plus vite et beaucoup plus fatalement que le nationalisme n’arrive à la sienne. C’est qu’il renferme beaucoup moins d’être et de vie. Le nationalisme a pour contenu une réalité d’une abondance, d’une richesse, d’une densité infinies, tout le passé vivant, toute la mémoire d’une grande nation, d’une longue tradition, d’un acquis positif et d’une passionnante histoire. S’il est fondé en second lieu sur la haine de l’étranger, il est fondé en premier lieu sur l’amour d’un pays vrai. L’internationalisme, au contraire, n’est fondé que lointainement sur l’amour d’une humanité réelle, positive, — il est établi d’abord et surtout sur l’indifférence à l’égard de son propre pays et sur la haine, sinon de ce propre pays, tout au moins de classes, d’hommes, d’idées qu’on identifie plus ou moins avec lui et qu’on veut atteindre même à travers lui. L’internationalisme a jusqu’ici, et pour cette raison, manqué de style. On y a trouvé toujours quelque chose de facile, de lâché, de mollasse. Cela ne signifie nullement qu’il en sera continuellement ainsi. Lui aussi peut acquérir un style. L’Église, au moyen-âge, était une puissance internationale dont le style n’a probablement été égalé par aucune puissance nationale. Cela tenait en partie à ce