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Page:Thibaudet - La Campagne avec Thucydide, 1922.djvu/48

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intérêts, elle était soupçonnée de laconisme. Son programme avait été formulé par Cimon : c’était la paix dans la Grèce assurée par l’entente avec Sparte, véritable doctrine de l’équilibre analogue au « système » de l’alliance autrichienne qui pour les diplomates du xviiie siècle garantissait la paix européenne. Le parti de la guerre, de l’expansion à outrance, qui triomphe avec Périclès, est celui de la démocratie, groupé autour des Alcméonides. Il est naturel que les éléments les plus avancés du parti populaire et patriote aient suspecté et dénoncé la tiédeur de ces laconisants qui n’étaient entrés dans la guerre qu’à regret. Les traditions de famille de Thucydide pouvaient, à défaut d’autre motif, permettre à un Cléon de flairer le défaitiste. Si Thucydide est désigné comme stratège en Thrace, c’est parce que l’essentiel, pour les Athéniens comme pour les Lacédémoniens en expédition dans ce pays, est d’y recruter le plus d’auxiliaires possible, et que l’on espère (IV, 105) que sa famille, son alliance avec une femme de Skaptè-Hylè, et les riches mines d’or qu’il exploite là-bas, lui donneront à cet effet des facilités. Or la prise d’Amphipolis, qui porta un coup très dur à la puissance d’Athènes, fut imputée aux lenteurs de Thucydide, peut-être avec raison : appelé par son collègue Euclès qui gardait Amphipolis, il arriva sur le continent le jour même ou Amphipolis capitulait. Son récit tend évidemment à le disculper, et il est sans doute juste ; mais l’allure de ce récit, par son ton exact, méthodique et posé, nous conduit instinctivement à penser que le tempérament de Thucydide n’était point celui d’un Desaix, qu’il mit peut-être trop de régularité dans son embarquement, et qu’avec un peu de furia il aurait pu gagner les douze ou quinze heures qui eussent permis