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Page:Thibaudet - La Campagne avec Thucydide, 1922.djvu/66

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pareil chez eux à cette science de l’écriture qui fait le fond de la civilisation des Chinois et qui est au principe de leur peinture. Jamais ils n’ont été tentés par la beauté lapidaire, spacieuse et durable des hiéroglyphes égyptiens, n’ont essayé d’en faire passer quelque chose dans leurs inscriptions, gribouillis qu’écrasent de si haut les belles inscriptions romaines. Ils ont emprunté leur écriture aux marchands phéniciens, quelque chose de simplifié, de rapide, de commercial, employé à la notation du moment. L’art du beau livre, la calligraphie, n’apparaissent en Orient et en Occident qu’avec le livre sacré. Évangile ou Coran. L’art des Arabes consistera surtout en cela, les Grecs ont mis de l’art dans tout, excepté dans cela.

Il y a un texte célèbre du Phèdre sur lequel on voit pivoter tout cet ordre d’idées. La répugnance du Grec pour une civilisation du livre s’y exprime en plein.

Platon y reproche à l’écriture exactement ce que M. Bergson reproche au langage, dont les Idées sont une hypostase. Et le langage visuel, ligoté par l’écriture, auquel notre pensée du platonisme est aujourd’hui incorporée, ne ressemble pas à ce langage fluide, auditif, qu’il déposa à regret sur la cire de ses tablettes, et qui sentait la pensée comme le miel de ruche sent les fleurs. Platon, dont le sens est ici d’une merveilleuse finesse, flaire l’ennemi dans la direction d’où en effet il viendra. Le platonisme tel que nous le comprenons aujourd’hui, tel que l’exorcise M. Bergson lorsqu’il déclare que nous naissons tous platoniciens, c’est-à-dire philosophes d’une philosophie marquée par le péché originel de la spatialité, c’est bien ce platonisme immobilisé, momifié, lié par les bandelettes de Thot : quel autre nom donner à celui de Zeller ou à l’extraordinaire