Page:Thibaudet - La Poésie de Stéphane Mallarmé.djvu/116

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d’une plus complexe structure. Il n’en est pas où l’on ne retrouve, avec quelque attention, le dessein vrai, celui que le poète y a mis, et que nous épousons pour continuer l’essor du vers, vibrer nous aussi de la même résonance. Pas plus que le reste, ils ne sont d’ailleurs garantis contre les commentaires des imbéciles. Selon un propos qui circulait jadis dans les brasseries littéraires et qui reparaît parfois, les sonnets dont le sens paraît d’abord hermétique seraient simplement des obscénités voilées. On a pu entendre des littérateurs transporter à l’interprétation de M’introduire dans ton histoire les propos des commis-voyageurs au passer d’une garde normande connue. On a l’affliction de voir M. Maurras lui-même — Villiers déplorait, quand Barbey d’Aurevilly écrivit sur la Révolte, qu’un lion pût braire avec les ânes — en une page assez aigre, mais intelligente et clairvoyante, parue au lendemain de la mort du poète, relater, comme vraisemblable, ce propos de café, que les sonnets « fourmillent d’allusions lubriques ». Et un journaliste, qui enterrait les morts dans la Presse, cite, avec un goût que l’on appréciera, parmi ces poèmes « lubriques » simplement l’Éventail de madame et de mademoiselle Mallarmé[1] ! Ce n’est pas le côté le moins curieux de leur puissance suggestive que celui où ces poèmes se défendent, comme d’une épine, par l’énormité des sottises qu’ils leur font proférer, contre les lecteurs dont ils n’ont que faire.

« Évoquer, dans une ombre exprès, l’objet tu par des mots allusifs, jamais directs, se réduisant à du silence égal, comporte tentative proche de créer. »

  1. « Pour comprendre le final de ce poème (Hérodiade) il faut savoir que Mallarmé ne reculait pas devant le détail risqué. Ses plus belles pièces, d’ailleurs, ne sont malheureusement que l’enveloppe d’une pensée dépravée, quand elle n’est pas banale. L’obscurité de ces poèmes vient souvent de la pureté d’âme de ceux qui cherchent à les pénétrer. Il faut être dépravé pour comprendre le sens caché de poèmes tels que M’introduire dans son histoire, Surgi de la croupe et du bond, Éventail, etc... » La Presse du 11 septembre 1898.