Page:Thibaudet - La Poésie de Stéphane Mallarmé.djvu/118

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L’idéalisme de Mallarmé, l’exactitude de sa probité et la discrétion de son goût le faisaient répugner de façon presque maladive à toute exubérance de matière. La plume de l’auteur, au moment où elle se pose sur le papier, lui paraissait avoir pour semblable, ou mieux pour idéal, le bâton, sur un concert, du chef d’orchestre. Il dépasse l’harmonie même, puisque muet il engendre l’harmonie, — et la mesure qu’il communique aux instruments, puis à la foule immobile, le flot immensément élargi de musique et de rêverie, d’âme palpitante et déchaînée que propage son mouvement, justifie et consacre ce mouvement, comme fait une âme passionnée de la frêle prunelle par laquelle elle s’est répandue toute. Aussi bien que ce bâton dans l’espace, une ligne, quelques lignes, un tercet — celui que je viens de citer — isolés sur le blanc d’une page peuvent, par des mots mystérieusement choisis, faire bruire, indéfini, l’orchestre d’une sensibilité préparée.

C’est par là qu’entre dans l’art de Mallarmé le symbole, et que se relie à son esthétique le symbolisme dans la mesure où convient au symbolisme son nom. L’image symbolique, telle que la définit exactement Kant, évoque l’objet qu’elle symbolise, le suggère, non par une ressemblance extérieure, mais par des rapports intérieurs, par l’analogie, chez tous deux, de l’ordre, de l’harmonie, en somme de la vie. Ces rapports ne sont pas donnés à nos sens, mais induits et animés par notre esprit. Le seul fait de s’exprimer par un symbole implique un acte de foi dans l’activité créatrice du lecteur, dans une activité créatrice analogue à celle de l’auteur, et qui joue spontanément. Peut-être pourrait-on reprocher à Mallarmé parfois et aux symbolistes souvent de n’avoir pas atteint ce but, précisément parce qu’ils ont voulu diriger sur lui tout l’effort de leur poésie.

Le Satyre et la Maison du Berger sont des types admirables d’œuvres symboliques, parce qu’au delà du symbole ils débordent encore d’une exubérance de matière et d’un flot de poésie vaine. Se prolongeant dans ces