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Page:Thibaudet - La Poésie de Stéphane Mallarmé.djvu/123

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le pistil et les étamines au cœur poudroyant d’une fleur.

Ainsi dans le lyrisme romantique était déjà contenue cette tendance de la poésie à rendre les effets de la musique, sans lui emprunter aucun de ses moyens, à n’imposer pas un poème du dehors, comme une notion harmonieuse et épurée, mais à le faire recomposer et revivre, du dedans. Les poètes ont cessé d’être, selon la formule du xviie siècle, des connaisseurs du cœur humain. Mais leur poésie est devenue le cœur humain lui-même. Selon Schopenhauer, tandis que les autres arts figurent la Volonté objectivée sous forme d’Idées platoniciennes, et par là ouvrent à l’homme un sanctuaire supérieur de purification et de calme, la Musique est la Volonté elle-même, directement sentie, prenant en nous conscience d’elle toute dès ses premières racines. Et l’on pourrait, je crois, faire glisser la poésie, selon sa nature et son objet, de l’une à l’autre de ces deux formes, la première répondant aux genres classiques objectifs, la seconde au lyrisme personnel et à la majeure partie de l’art romantique[1].

Cette forme intérieure de la poésie, cette continuité sympathique, chez le lecteur, de l’émotion, précisément les Parnassiens l’abolirent, ou plutôt ils se relièrent à ceux-là, Leconte de Lisle, Gautier, même Baudelaire, qui l’avaient abolie. Précurseurs du Parnasse et Parnassiens proprement dits, le Parnasse revint à certains principes de l’art classique. L’objet poétique fut présenté comme une notion précise, gardant toute sa valeur, non plus comme le principe d’une allusion. Le souffle poétique n’eut plus pour rôle d’amplifier hors de l’œuvre, chez des hommes, en ondes concentriques, l’émotion qu’il suscitait, mais de formuler et d’étoffer, de nourrir et d’épanouir les tableaux extérieurs ou les états intérieurs. La poésie devint descriptive et analytique. Elle abdiqua toute lutte d’influence avec la musique et rivalisa plu-

  1. Le lecteur se réfère ici de lui-même aux idées de Nietzsche sur l’art apollinien et l’art dionysiaque.