Page:Thibaudet - La Poésie de Stéphane Mallarmé.djvu/132

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et concevait le problème qui l’hallucine, — n’existe pas. Le monde stellaire, lointain, du hasard nu qu’imagine Stuart Mill est une contradiction, ce cosmos acosmique est un fer en bois. Or la logique de Mallarmé consiste à respecter la suite des sensations, à réfléchir longuement et ingénieusement sur elle, à se demander si ce hasard ne serait pas l’ordre unique. Tendance obscure que l’on comprendra mieux en la référant à la conscience claire qu’elle prend chez les philosophes. Lorsque Spinoza identifie le possible et le réel, Hegel le rationnel et le réel, nous comprenons assez que, chez ces deux intellectualistes, l’accent est sur le possible et le rationnel, qui absorbent le réel. Mais ces mêmes propositions seront vraies pour un pragmatiste conséquent, à cette différence près que pour lui l’accent portera sur le réel, dont le possible ou le rationnel ne développent que l’ombre, courte sous l’action de midi, et qui s’allonge loin sous le rêve ou la méditation du soir. Et c’est à cette dernière forme mentale que je rattacherais, malgré ses allures platoniciennes, la logique de Mallarmé.

Pour rendre sa vision poétique, sa notion de la poésie, il expose, semblable à celle du réel et du possible, du réel et du rationnel, une synthèse du hasard et de l’Idée. Je dois citer cette page intense et pleine, de la Musique et les Lettres.

« La Nature a lieu, on n’y ajoutera pas ; que des cités, les voies ferrées, et plusieurs inventions formant notre matériel.

« Tout l’acte disponible, à jamais et seulement, reste de saisir les rapports, entre temps, rares ou multipliés ; d’après quelque état intérieur et que l’on veuille à son gré étendre, simplifier le monde.

« À l’égal de créer : la notion d’un objet, échappant, qui fait défaut.

« Semblable occupation suffit, comparer les aspects et leur nombre tel qu’il frôle notre négligence : y éveillant, pour décor, l’ambiguïté de quelques figures belles, aux intersections. La totale arabesque, qui les relie, a de