Page:Thibaudet - La Poésie de Stéphane Mallarmé.djvu/140

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monde intérieur, mais il l’y place en poussant son idéalisme jusqu’à sa pointe extrême de finesse paradoxale : non sur le monde intérieur lui-même, sur sa matière de sentiments et d’idées, mais sur le caractère formel, sur le schème indicateur par lequel, relativement aux perceptions communes, il est dit ne pas être. Il voit dans l’absence la somme des présences idéales, évoquées, pensées grâce au fait même qu’extérieurement elles ne sont pas. Le mot de Tacite sur les images de Brutus et de Cassius aux funérailles de Germanicus : præfulgebant eo ipso... lui servirait presque d’épigraphe.

Mallarmé, dit Remy de Gourmont, « est capable, et lui seul, d’imaginer une phrase représentative d’une absence d’images[1] ». Et il cite celle-ci, du Nénuphar blanc « Résumer d’un regard la vierge absence éparse en cette solitude ». C’est une des tournures favorites de Mallarmé dans son langage, parce que c’est le pli profond de son esprit. « Dans la stalle vacante à mes côtés, une absence d’ami... témoignait du goût général à esquiver ce naïf spectacle[2] ». « L’absence d’aucun souffle unie à l’espace, dans quel lieu absolu vivais-je ?[3] ». La nullité du théâtre actuel, devant le monument d’un théâtre idéal, peut-être futur, c’est « les blocs d’abstention laissés par quelques âges qui ne purent que charger le sol d’un vestige négatif considérable[4] ». Indiquant avec réticence et précaution quelque espoir d’une cérémonie d’art futur qui serait une idéale Messe, il tâche seulement « que le desservant enguirlande d’encens, pour la masquer, une nudité de lieu[5] ».

À n’entr’ouvrir comme un blasphème
Qu’absence éternelle de lit

(Une dentelle s’abolit).
  1. Phalange, 15 novembre 1907.
  2. Divagations, p. 21.
  3. Id., p. 23.
  4. Id., p. 163.
  5. Id., p. 367.