Page:Thibaudet - La Poésie de Stéphane Mallarmé.djvu/154

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

une référence constante à la réalité par lui signifiée. Il voit les choses en profondeur, derrière l’instant, non développées sur un plan, autour de l’instant. Par exemple il parle, bizarrement si l’on veut, de cette jupe des ecclésiastiques « portée avec l’apparence qu’on est tout pour soi, même sa femme[1] ». Et c’est, une raison analogue, fondée hors du temps sur quelque réalité éternelle, quelque convenance métaphysique, quelque rapport en soi, qu’il découvre à tout ce qui l’occupe. Aussi lui manque-t-il de la façon la plus totale, comme un sens extra-planétaire qui ne le concernait pas, la notion de l’histoire. Pour un peu il penserait, comme Malebranche, qu’Adam avant la chute savait toutes choses, et que, comme il ne savait pas l’histoire, l’histoire n’est rien. L’idée ne lui viendrait pas de chercher à un fait une raison dans le temps, de se dire par exemple que la robe médiévale témoigne dans l’Église de l’habitude conservatrice et de la prépondérance des vieillards : autant vaudrait pour lui écrire en style banal. Son esprit platonicien est fait pour percevoir des analogies spontanées, non des successions régulières. « Longtemps, voici du temps — je croyais — que s’exempta mon idée d’aucun accident même vrai ; préférant aux hasards, puiser dans son principe, jaillissement[2] ».

Les moments de la durée paraissent chez lui moins dépendants qu’ils ne le sont pour la vie intérieure commune. Ils sont indépendants même dans un seul vers où des images s’emboîtent plus souvent qu’une image ne se développe.

La chevelure vol d’une flamme à l’extrême
Occident de désirs pour la tout déployer.

Ils le sont à plus forte raison dans sa phrase de prose : le mot composition n’a pas pour lui son sens ordinaire, mais implique des points discontinus de concentration.

  1. Divagations, p. 42.
  2. Divagations, p. 46.