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CHAPITRE XVI

LA FIGURE DE LA MORT

Lorsqu’en septembre 1898 mourut Mallarmé, les journaux jetèrent sur son cercueil une pelletée de lazzi, et un plaisantin du boulevard, Emmanuel Arène, écrivit dans le Figaro : « La mort de Stéphane Mallarmé n’a pas changé grand’chose à sa situation : elle l’a même, en quelque sorte, régularisée. Il parlait à travers les nuages, en des mots imprécis, en une forme de rêve. La mort n’est pas pour interrompre ce genre de conversation[1]. »

Une vue familière à Ernest Hello, et que Léon Bloy, dans son Exégèse des Lieux communs, a pittoresquement développée, nous indique dans toute sottise la parodie inconsciente et comme satanique d’une vérité. L’intention dérisoire de ces lignes n’eût pas empêché Mallarmé, s’il avait assisté à sa nécrologie, d’y reconnaître à peu près exactement sa vision propre de la mort et l’idée même que pieusement, à propos de tous les disparus qu’il admira ou qu’il aima, il se plut, dans sa prose ou dans ses vers, à sculpter en hommage sur la porte de leur tombeau.

« Un homme au rêve habitué vient ici parler d’un autre qui est mort », dit-il en commençant une confé-

  1. Figaro, 24 octobre 1898.