Page:Thibaudet - La Poésie de Stéphane Mallarmé.djvu/21

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révélaient à autrui ; traits extérieurs qui chez tout homme d’intérieur un peu complexe, sont à la fois, mêlées d’indiscernable manière, l’expression et la dissimulation de ce qu’il est.

De lui ne dirait-on pas ce qu’il allègue de Whistler.

« Si, extérieurement, il est, interroge-t-on mal, l’homme de sa peinture — au contraire, d’abord, en ce sens qu’une œuvre comme la sienne innée, éternelle, rend, de la beauté, le secret ; joue au miracle et nie le signataire[1]. »

M. André Fontainas, dans un article sur Mallarmé professeur d’anglais[2], nous rapporte ce propos qui vers 1875 circula dans la classe de sixième, à Condorcet : « Le père Mallarmé, on ne fiche rien dans sa classe ; pas étonnant : il écrit tout le temps pour des journaux de mode ! » : c’était peu après, en effet, sa rédaction éphémère de la Dernière Mode. Dans ce propos nature, on reconnaît le délicieux mépris d’un petit garçon de dix ans pour les chiffons du sexe que deux ou trois années encore il estimera inférieur[3]. Mais je ne sais si l’on n’y trouve pas un peu les traits de la figure la plus générale, la plus extérieurement enveloppante, qui circonscrit Mallarmé. Chez le Marasquin qui incarna le personnage directeur d’un journal de mode, chez Stéphane Mallarmé tout entier, il y avait quelque chose de légèrement féminin : cette séduction et ce demi-sourire, ce geste de danseuse par lequel, selon Rodenbach, il entrait en la conversation, pour y faire miroiter des toilettes entrevues, une imperceptible traduction du dandysme brummiellien en coquetterie. Dans ces huit numéros de la Dernière Mode, le plain-pied est joli avec les jeunes filles et les femmes que met en rapport avec lui la petite correspondance de la couverture bleue : « Oui, mon enfant — écrit-il le 6 décembre 1874 à Lydie… à

  1. Divagations, p. 125.
  2. La Phalange, 15 mars 1908.
  3. Écrit en 1912…