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Page:Thibaudet - La Poésie de Stéphane Mallarmé.djvu/234

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Sous un marbre lourd qu’elle isole
Ne s’allume pas d’autre feu
Que la fulgurante console.

Ils allégorisent une console : les cuivres brillent sous les reflets d’un feu qui s’éteint, comme des griffes, comme une logique du passé irrévocable qui saisit du bois la masse obscurcie et vague ; le bois, forme de sépulcre, tord en arrière le désaveu impuissant de cette nécessité, de cette règle claire et froide, qui l’assiègent. Tableau hollandais de cuivres dans l’ombre, qui dégagent un symbole. Or les deux tercets expriment la même image, le premier en termes mallarméens, le second en termes ordinaires, plastiques, et qu’avouerait un Parnassien. On a dans cette fin de sonnet une sorte d’inscription bilingue, unique je crois chez Mallarmé (n’y aurait-il pas pensé en l’écrivant ?) Les vers, et presque les mots, se correspondent, deux par deux, invertis en reflet : 3 et 4, 2 et 5, 1 et 6.

La position instable et les significations détournées de ces mots paraissent communiquer à Mallarmé une perpétuelle inquiétude. Il remarque qu’il est très rare qu’un poète sache, outre la sienne, quelque langue. « Nécessaire infirmité peut-être qui renforce, chez eux, l’illusion qu’un objet proféré de la seule façon qu’à leur su il se nomme jaillit natif[1] ». Poète muni de deux langages, se référant fréquemment à l’anglais, il paraît chercher par delà ces langues le mot qui avec une pureté de source « jaillit natif ». Il s’attache à des éléments visuels qui ne dépendent pas de la langue parlée, la ponctuation, les blancs. Il semble croire, en platonicien, à l’existence idéale d’une langue unique et parfaite, qui manque. Et peut-être cette existence idéale, sein brûlé de l’Amazone, est-elle faite de ce manque même. « À l’égal de créer : la notion d’un objet, échappant, qui fait défaut[2] ». Nous pensons avec des mots, mais « la

  1. Divagations, p. 112.
  2. La Musique et les Lettres, p. 46.