Mallarmé ne francise pas des mots latins, selon la méthode de l’écolier limousin, usitée sans succès vers 1889 dans les revues « jeunes ». Mais, amateur de langue neuve, il a le goût des mots et des expressions repris en leur sens étymologique et exact, lorsque ce sens, délaissé par l’usage est devenu d’apparence excentrique et précieuse : ainsi authentique, en tant que. Il représente un peu cet effort érudit et artificiel, qui a d’ailleurs propagé une végétation récente de clichés, cette constante référence, pour en déduire une signification plus pure, au type latin des mots. Je dis bien déduire, et il n’est pas certain que ce soit là un rajeunissement, un baptême des mots français par de l’eau fraîche ; peut-être est-ce sur leur front une cendre inquiétante par laquelle semblent les rappeler leurs pères ensevelis de Rome. Ainsi « les roues assoupissant l’interjection de fleurs », « l’effort à proférer un vocable », « une nudité de héros tendre diffame[1] ». « Cent affiches s’assimilant l’or incompris des jours », « Ne divulgue pas du fait d’un aboi indifférent l’ombre ici insinuée[2]. » Ce n’est pas autrement, mais c’est avec un sens plus robuste des ressorts de la langue que Victor Hugo écrit :
Tout avait la figure intègre du bonheur…
C’est trop peu d’être blanc, le lys était candide…
Mallarmé transfère volontiers une épithète du sens d’objet au sens d’agent :
Des dormeuses parmi leurs seuls bras hasardeux,
entendez jetés au hasard, les enlaçant confusément.
Figurent un souhait de tes sens fabuleux,
entendez non objet de fable, mais qui engendrent des fables. Et rien de plus naturel dans une poésie où les mots sont des foyers de suggestion.