Page:Thibaudet - La Poésie de Stéphane Mallarmé.djvu/240

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nonobstant[1]. » « Subséquemment aux assauts d’un médiocre dévergondage[2] », — ou des vocables comme « circonstanciaient sa beauté[3] », « poursuivre une jouissance dans la différenciation de quelques brins d’herbe[4] » ? Pourquoi par « une simple adjonction orchestrale[5] » évoquer sous son ceinturon de garde national l’adjonction des capacités ? Et l’on pose un pied nu sur un tesson de bouteille sale quand, aux pages 91 et 155 de Divagations, on rencontre le mot, ornement de la langue électorale et parlementaire : compromission.

« Cratyle a raison de dire qu’il existe des noms naturels aux choses, et que tout homme n’est pas un artisan de noms, mais que l’est celui-là seul qui considère quel nom est naturellement propre à chaque chose et qui sait en reproduire l’Idée dans les lettres et les syllabes ». Ainsi parle Platon dans le Cratyle. Telle est la pensée de Mallarmé, la raison de son goût instinctif pour certains mots qui semblent reproduire en leurs lettres et en leurs syllabes leur Idée même. Mais entre les éléments des mots une telle concordance n’existe que par la plus rare exception. C’est au poète, seul artisan de noms qu’il appartient d’en réaliser la plénitude. Or son art ne s’exerce que sur ces groupes de noms qui sont les vers. Comme l’individu isolé n’est selon Comte qu’une abstraction sociale, le mot, dont heureusement j’ai très mal réussi à isoler l’étude, n’est qu’une abstraction rythmique. Le vrai mot c’est le vers, et ces lignes de Mallarmé continuent exactement celles de Platon : « Le vers qui de plusieurs vocables refait un mot total, neuf, étranger à la langue et comme incantatoire, achève cet isolement de la parole : niant, d’un trait souverain, le

  1. Divagations, p. 93.
  2. Divagations, p. 28.
  3. Divagations, p. 31.
  4. Divagations, p. 41.
  5. Divagations, p. 144.