Page:Thibaudet - La Poésie de Stéphane Mallarmé.djvu/251

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La terre fut jadis, alma Cérès,
Mère aux yeux bleus des blés, des prés et des forêts.

(À la Terre.)

Elles sont, pour la prose, des esprits actifs et tout-puissants de beauté verbale, et plus fréquentes peut-être dans Chateaubriand que dans Racine. Flaubert qui disait qu’une assonance doit être évitée, dût-on y passer huit jours, en place une fort belle à la première ligne de Salammbô, « C’était à Mégara, faubourg de Carthage, dans les jardins d’Hamilcar ». Les a redoublés des trois noms propres déploient un rideau de pourpre sombre au seuil du roman barbare. Victor Hugo, faisant gravir aux cuirassiers de Waterloo « comme un bélier de bronze qui ouvre une brèche, l’épouvantable pente de boue du Mont Saint-Jean » réalise par l’allitération des labiales, la perfection de ce qu’on appelait autrefois l’harmonie imitative. « Les carrés rongés par cette cavalerie forcenée se rétrécissaient sans brancher ». Le sol, sous la charge, tremble des r accumulées, l’allitération pressée des é immobilise et soude comme des crampons de fer le mur uniforme et impassible de l’infanterie anglaise, et le seul mot métallique et clair de cavalerie met au-dessus, droite dans le soleil, une latte dardée de cuirassier.

Je rappelle, entre d’innombrables, ces exemples, pour que l’on s’étonne moins de voir Mallarmé chercher constamment l’harmonie de ses vers dans l’assonance et l’allitération. En outre des ressources poétiques françaises, il s’inspire peut-être de la poésie anglaise, ou plutôt il en subit inconsciemment l’influence. Ainsi M. Stuart Merrill, qui dans ses premiers recueils a exploité avec système et persévérance ces procédés est nativement de langue anglaise. Le livre des Mots Anglais, sa bizarre anatomie des consonnes, doit être ici rappelé. Mallarmé y écrit : « Au poète comme au prosateur savant, il appartiendra, par un instinct supérieur et libre, de rapprocher des termes unis avec d’autant plus de