Page:Thibaudet - La Poésie de Stéphane Mallarmé.djvu/254

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Un cygne d’autrefois se souvient que c’est lui,
Magnifique, mais qui sans espoir se délivre
Pour n’avoir pas chanté la région où vivre,
Quand du stérile hiver a resplendi l’ennui

Tout son col secouera cette blanche agonie
Par l’espace infligée à l’oiseau qui le nie
Mais non l’horreur du sol où son plumage est pris.

Fantôme qu’à ce lieu son pur éclat assigne,
Il s’immobilise au songe froid de mépris
Que vêt parmi l’exil inutile le Cygne.

Les quatorze rimes du sonnet sont en i, comme dans une laisse assonancée de chanson de geste. Elles développent sur la voyelle aiguë et contractée la monotonie d’un vaste espace solitaire, silencieux, tout blanc de glace dure. Elles dessinent du haut en bas comme le méridien du poème (et l’élément visuel est assez développé chez Mallarmé pour que j’use ici d’une image juste. Mais les derniers vers des tercets reproduisent transversalement la même ligne d’assonances, en parallèles. Le dernier vers des quatrains étale d’un grand geste nu, sous le soleil froid qui l’éclaire, la congélation qu’il exprime. Dans le dernier vers du sonnet, le dernier mot, la longue du Cygne, soulignée visuellement par la majuscule (rare chez Mallarmé), isolée et mise en valeur entre trois syllabes demi-muettes, arrête avec sûreté et poids l’oiseau dans cet espace de consonances, blanc comme lui, et dont en lui se gonfle le cœur harmonieux, nostalgique, douloureusement.

L’image autour de laquelle cristallise ici cette musique verbale est d’ailleurs celle même esquissée dans le Nénuphar Blanc, « en mémoire d’un site l’un de ces magiques nénuphars clos qui y surgissent tout à coup, enveloppant de leur creuse blancheur un rien, fait de songes intacts, du bonheur qui n’aura pas lieu, et de mon souffle ici retenu dans la peur d’une apparition ». Et il emporte « comme un noble œuf de cygne tel que n’en jaillira le vol… son imaginaire trophée ». Sur le même