Page:Thibaudet - La Poésie de Stéphane Mallarmé.djvu/258

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discrètement de beaux accents espacés, peut devenir charmante. Quel délice, chez Mallarmé, que ce premier vers

Le visible et serein souffle artificiel.
De l’inspiration, qui regagne le ciel !

Je voudrais considérer maintenant le vers de Mallarmé au point de vue propre des accents et du rythme, c’est-à-dire dans son essence même, puisqu’un vers, français ou autre, n’est qu’un rythme obtenu par un jeu d’accents. Mais il faudrait, pour aller loin, toucher à tant de questions délicates et encore mal débrouillées, que je me borne à quelques remarques.

L’alexandrin, je le rappelle, est fait, non de douze ou treize syllabes (cela est une conséquence ou un accident) mais de quatre accents espacés, un dont la place, à la rime, est fixe, un dont elle l’est, à la césure, à peu près, deux dont elle est, dans le corps des hémistiches, presque facultative. Il va de soi qu’à ce point de vue le vers de Mallarmé ressemble à celui de tout poète français. Il faut noter seulement les cas où il échappe, pour des raisons, à la loi des quatre accents, ou la tourne : je relèverai, pour l’analyse, quelques vers qui ont plus ou moins de quatre accents.

Tison de gloire, sang par écume, or, tempête,

(Victorieusement fui.)

Voilà un vers à six accents, qui figure un coucher de soleil emblématique. Cette surabondance de longues et de fortes a pour effet de matérialiser, d’alourdir, de rendre épaisses comme des couleurs déposées au couteau, les nuées chaudes, les barres de feu sur un ciel du soir. C’est l’image visuelle dans laquelle se coule, pour lui donner une substance et une chair, la sensation de poids (Mallarmé, dans une édition antérieure, avait même écrit

Soupirs de sang, or meurtrier, pâmoison, fête !

où presque toutes les syllabes sont accentuées, et qui,