Page:Thibaudet - La Poésie de Stéphane Mallarmé.djvu/301

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rent intérieurement ce mécanisme rigide et puéril de sa mesure ; l’oreille, affranchie d’un compteur factice, connaît une jouissance à discerner, seule, toutes les combinaisons possibles, entre eux, de douze timbres[1]

D’autres, comme M. Henri de Régnier, considérant « cet alexandrin toujours comme le joyau définitif, mais à ne sortir, épée, fleur, que peu et selon quelque motif prémédité » se jouent autour de lui en des accords qui l’avoisinent, et ne le donnent « superbe et nu » qu’en de grands jets isolés, définitifs et plus sveltes.

Enfin vient le vers complètement libre, polymorphe, de MM. Kahn et Vielé Griffin (je cite toujours, en résumant, la page de Mallarmé).

Mallarmé estime que « les occasions amples » s’illustreront toujours de la forme traditionnelle, que l’alexandrin demeure le grand vers, mais qu’on peut à bon droit hésiter, quand il n’y a pas lieu, à « déranger les échos vénérables ». « Le vers officiel ne doit servir que dans les moments de crise de l’âme ; les poètes actuels l’ont bien compris ; avec un sentiment de réserve très délicat ils ont erré autour, en ont approché avec une singulière timidité, on dirait quelque effroi, et au lieu d’en faire leur principe et leur point de départ, tout à coup l’ont fait surgir comme le couronnement du poème et de la période[2]. »

Quant à supposer que tout individu apporte une prosodie, neuve, participant de son souffle, « et pourquoi pas une orthographe ? » c’est une plaisanterie bonne à inspirer « le tréteau des préfaciers ». La poésie consiste — et par là précisément elle diffère de la prose — en ce « qu’une idée se fractionne en un nombre de motifs

  1. Divagations, p. 238.
  2. Enquête, p. 58. M. Henri Ghéon remarque très finement que, lorsqu’apparaît dans la strophe des nouveaux poètes, « sans spéciale intention, le bloc désuet et machinal de l’Alexandrin d’autrefois, ce n’est pas quand leur pensée s’affermit, mais chancelle, et ne trouve plus son rythme adéquat. » Cet instinct rythmique est celui d’une partie de la génération poétique de 1910-1914. (Nos Directions, p. 224).