Page:Thibaudet - La Poésie de Stéphane Mallarmé.djvu/305

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de splendeur et de féerie, et l’appelle la Fête du Poète : l’élu est cet homme au nom prédestiné, harmonieux comme un poème et charmant comme un décor. Dans l’empyrée, il siège sur un trône d’ivoire, ceint de la pourpre que lui a le droit de porter, le front ombragé des géantes feuilles du laurier de la Turbie. J’ouïs des strophes ; la Muse vêtue du sourire qui sort d’un jeune torse, lui verse l’inspiration — cependant qu’à ses pieds meurt une nue reconnaissante. La grande lyre s’extasie dans ses mains[1]. »

Les pièces du premier Parnasse nous révèlent pourtant, je crois, que, si sa prose pouvait avoir tout le flux, l’ondoiement qu’il voulait, il fut toujours incapable de construire, selon la formule ordinaire, un poème. L’analyse d’une pièce en partie manquée, celle des Fleurs, nous le fera saisir avec précision.

I

Des avalanches d’or du vieil azur, au jour
Premier et de la neige éternelle des astres
Jadis tu détachas les grands calices pour
La terre jeune encore et vierge de désastres.

Voici dès la première strophe l’entassement des images qui se recouvrent et ne prennent pas le temps de développer dans l’espace leur contour. Déjà — et bien que Mallarmé ne soit encore qu’un Parnassien plus subtil — c’est au lecteur à déployer l’éventail, à faire épanouir dans sa fraîcheur à lui la rose de Jéricho. Creusant dans le même sens Mallarmé arrivera plus tard à d’apparentes énigmes

Comme mourir pourpre la roue
Du seul vespéral de mes chars.

et tous les derniers sonnets.

  1. Divagations, p. 119.