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sophes. Il crut de Villiers de l’Isle-Adam ce que d’autres crurent de lui-même, et, sur la foi de l’auteur d’Axël, il l’affirme lecteur de Saint Bernard, Saint Thomas (déjà !), Kant et Hegel.

L’aptitude lui manquait aux longues suites de raisonnements. Sa pensée par analogie relève de l’esprit de finesse, non de l’esprit de géométrie. De là sa logique particulière. Il a pensé avec des images plus qu’avec des idées, avec des mots plus qu’avec des phrases. Il fut le maître — et la victime — du discontinu. Et ainsi s’explique peut-être son malaise à lire docilement des séries d’idées suivies. Toute idée pure, lors même qu’elle serait neuve, par le fait seul que l’expriment les termes coutumiers et sans relief, lui donne, à lui poète pour qui toute découverte est une découverte verbale, l’impression du déjà vu. Aussi lui qui fut, malgré tout et sous ces réserves, un artisan et un semeur de pensée, admire-t-il particulièrement la prose la plus vide d’intelligence, celle de Gautier, de Janin, de Saint-Victor, de Banville, de Mendès[1]. Les feuilletons dramatiques de ces cinq auteurs, de Mendès surtout, lui paraissent le comble de l’art. Sans doute le beau langage, les images déterminaient en lui des associations imprévues, lui donnaient l’illusion que dans l’écrit se trouvait la pensée en lui déclenchée. De la critique de Mendès il dit : « J’essaie, devant de tels rideaux de raison, de prestige, de loyauté et de charme sur cela (le théâtre) de ne percevoir pas le vide contemporain derrière[2] ». En réalité, ces rideaux pendaient en lui, créés et agités par le jeu du kaléidoscope verbal, et c’est vraiment que derrière il ne percevait pas, après celui du théâtre, un second vide, celui du journaliste.

Au seuil de cette étude, j’ai voulu simplement avertir que l’on n’attribue pas comme fond à la poésie de Mallarmé l’ample bibliothèque de chêne et de reliures

  1. Divagations, p. 372.
  2. Divagations, p. 372.