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Page:Thibaudet - La Poésie de Stéphane Mallarmé.djvu/314

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Dans le poème en prose de la Gloire, Mallarmé écrit : « Il est, cet an, d’amers et lumineux sanglots, mainte indécise flottaison d’idées désertant les hasards comme des branches, tel frisson et ce qui fait penser à un automne sous les cieux. » On trouvera dans ces quatre lignes, dans les quatre moments ou les quatre marches de la phrase, exactement le dessin du Tombeau de Baudelaire et même le crayon schématique de tout sonnet mallarméen. Des images discontinues et brisées, puis ces images émanées du hasard peu à peu se cristallisent selon des lignes décisives, ensuite le frisson (le mot revient, dans la phrase de la Gloire et dans le sonnet, à la même place) qui signale que tout va s’unifier en une vision suprême ; enfin, préparée par ces puissances de suggestion et par « ce qui fait penser », l’Idée, celle de l’Automne, celle des Fleurs baudelairiennes.

On peut refaire ce travail sur d’autres sonnets : Quand l’ombre menaça, Le Vierge, le Vivace, L’Hommage à Puvis, Mes bouquins refermés, on retrouvera ce même dessin qui, des images juxtaposées, pressées comme une matière poétique, en quelque désordre, va vers l’évocation d’une Idée définitive. L’Idée, préparée par ces accords épars et peu à peu réunis d’images, ressemble à ce qu’est, dans la poétique nouvelle dont discourait Mallarmé, l’alexandrin parfait « à ne sortir, joyau, épée ou fleur » qu’après des préludes.

Lisez Salut, dit à un banquet de poètes que Mallarmé présidait. Cela est parfaitement limpide et léger. Salut ouvre le recueil des Poésies et quiconque hésite à affronter l’œuvre aura, sans aller plus loin, dans cette goutte de rosée frêle, l’image de tout cet art.

Rien, cette écume, vierge vers
À ne désigner que la coupe ;
Telle loin se noie une troupe
De sirènes mainte à l’envers.

Nous naviguons, ô mes divers
Amis, moi déjà sur la poupe