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mentale somnolence où se voile ma lucidité, que d’interroger jusque là le mystère[1] ? » La négation composée sert alors, en cas de répétition, à varier les tournures dans la phrase. « La parole haute cesse et le sanglot des vers abandonnés ne suivra jusqu’à ce lieu de discrétion celui qui s’y dissimule pour ne pas offusquer, d’une présence, sa gloire[2]. » Mais plutôt il cherche, dans les termes négatifs, à jouer d’alliances imprévues. « Ce semble que l’épars frémissement d’une page ne veuille sinon surseoir ou palpite d’impatience[3]. »

Il lui arrive de donner à ni, signifiant et non, un sens fort comme celui de « et »

Le noir roc courroucé que la bise le roule
Ne s’arrêtera ni sous de pieuses mains…

(Anniversaire.)

Nul autre ni ne suit. Ni répond ici à ne : ne s’arrêtera pas, et pas même sous de pieuses mains.

Dans un de ses premiers poèmes, Brise marine, il faisait déjà de ni, par le rejet syntaxique, un emploi paradoxal et dont l’effet dans le vers est très beau bien qu’au fond et ni soit un pléonasme.

Rien, ni les vieux jardins reflétés par les yeux,
Ne retiendra ce cœur qui dans la mer se trempe,
Ô nuits, ni la clarté déserte de la lampe
Sur le vide papier que sa blancheur défend
Et ni la jeune femme allaitant son enfant.

VII. — Une bonne partie des exemples déjà donnés ont sans doute fait comprendre que l’anacoluthe et la syllepse sont, pour Mallarmé, non des figures de rhétorique, mais la condition même de son style, non des ruptures d’un ordre, mais la forme d’une liberté. « Ce

  1. Divagations, p. 37.
  2. Divagations, p. 77.
  3. La Musique et les Lettres, p. 44.