Page:Thibaudet - La Poésie de Stéphane Mallarmé.djvu/357

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être, ne se doit vendre, surtout quand cela ne se vend pas[1] ? ».

Ainsi poind quelque intérêt, pour la cause de la beauté, à retirer le Livre du courant de négoce et d’affaires qui l’enlaidit. Dans la Dernière Mode, Mallarmé a rêvé du Livre comme d’un bibelot plus exquis, parmi d’autres, dans un salon de goût, ou, mieux, comme d’un cœur qui bat entre ces choses frivoles et précieuses, les relie selon une harmonie et les scelle spirituellement d’un sens. Pareil aux Poésies de Froissart, il voudrait offrir le Livre de ses rêves à quelque souveraine d’aujourd’hui, la sienne. Ce goût de l’intérieur et de l’intimité, où nous avons reconnu une des sources de sa poésie, à rien mieux qu’au Livre il ne trouve à s’appuyer. Aimez, dans son Villiers, cette page :

« Grottes de notre intimité ! par exemple l’ameublement aujourd’hui, se résume, c’est même — et que fait d’autre, sinon plus subtilement, avec rien, que soi, un écrivain comme celui-ci (Villiers) — une quotidienne occupation de rechercher, où qu’ils expirent en le charme et leur désuétude, pour aussitôt mettre, dessus, la main, des bibelots abolis, sans usage quelquefois mais devant qui l’ingéniosité de la femme découvre une appropriation à son décor, et l’on se meuble de chimères, pourvu qu’elles soient tangibles : les morceaux d’étoffes d’Orient placent au mur un vitrage incendié pareil à de la passion, ou l’amortissent en crépuscules doux, et tels que, sans infirmer en rien son goût pour ces symboles, la dame d’aucun salon ne saurait aisément et même tout bas et seule, peut-être par l’esprit les traduire. Sa robe stricte de soie, probablement avec un acier très dur la cuirasse contre le maléfice si elle ne ressent pas jusqu’à l’âme, à de certaines crises d’extinction ou d’avivement du trop riche mobilier, comme un petit orage où s’agite la colère des bibelots, bouderie d’étagères, renfrognement aux encoignures ; et la re-

  1. Divagations, p. 171.