Page:Thibaudet - La Poésie de Stéphane Mallarmé.djvu/363

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par le sommeil des livres[1] ». Villiers tirait un manuscrit de sa poche, et « ce papier ténu comme un lys » reflète pour Mallarmé le fanon d’hermine brochant sur tout le blason familial du poète[2]. Il paraît donner un commentaire d’Alexandrin mystique à l’Esprit Pur d’Alfred de Vigny. Pareillement — songe-t-il, après une lecture de Là-Bas — la vraie magie c’est la Poésie, la vraie magie littéralement, et le livre de vers est un « grimoire ». L’enchanteur de lettres, lui, évoque par allusion, non directement, un « objet jusqu’à ce que, certes, scintille, quelque illusion égale au regard. Le vers, trait incantatoire ! et, on ne déniera au cercle que perpétuellement ferme, ouvre la rime une similitude avec les ronds, parmi l’herbe, de la fée ou du magicien[3] ».

Il y a pour lui une mystique du livre comme il y avait, pour d’ingénieux maniaques, au moyen âge, une mystique de l’architecture, des pierres, du verre, du bois, qui forment l’église. D’une fécondité que le scrupule n’eût pas contractée, je l’imagine très bien écrivant : Le Livre, exactement comme Huysmans a écrit La Cathédrale. Platon se demanda s’il existait des Idées des objets fabriqués. Pour Mallarmé il existe surtout des Idées de cela ; les Idées des meubles parmi lesquels il vit — et le Livre en est un — et aussi des instruments du Livre. « L’encrier, cristal comme une conscience, avec sa goutte, au fond, de ténèbres relative à ce que quelque chose soit[4] ». Écrire c’est dévider cette ténèbre, c’est étoiler de mystère humain l’absolu immaculé du blanc.

Idée du livre qui devient le rêve du livre futur. Par rapport à ce livre futur le livre passé ou actuel n’est qu’un essai et vaut surtout comme signe à interpréter : le livre qui rendra tous les autres inutiles et en vue de qui tout, dans le monde, peu à peu s’ordonne. Ce

  1. La Musique et les Lettres, p. 15.
  2. Villiers, p. 21.
  3. Divagations, p. 326.
  4. Divagations, p. 256.