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Page:Thibaudet - La Poésie de Stéphane Mallarmé.djvu/369

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ou pas encore l’heure extraordinaire[1] ». Il chercha, au théâtre fréquenté rarement, à enrichir et à éclaircir (dans la mesure où la clarté lui paraît préférable) ses idées sur un théâtre absolu, à rêver le Chien, constellation céleste, au-dessus du chien animal aboyant.

Davantage il se plaisait, comme les Goncourt, aux cirques, aux feux d’artifice populaires, — objets de méditations indéfinies, sources d’analogies, paysages de foule spontanée où le poète est délicieusement seul : « un feu d’artifice, à la hauteur et à l’exemple de la pensée, épanouit la réjouissance idéale[2] ». Au théâtre, ce qui l’intéresse le plus, c’est peut-être ce feu d’artifice cristallisé, le lustre : il le prend sans cesse, sous des formes précieuses, comme l’image du spectateur idéal. Baudelaire pensait de même, seulement il voyait en le lustre l’acteur : « Ce que j’ai toujours trouvé de plus beau dans un théâtre, dans mon enfance et encore maintenant, c’est le lustre — un bel objet lumineux, cristallin, compliqué, circulaire et symétrique… Le lustre m’a toujours paru l’acteur principal, vu par le gros bout ou le petit bout de la lorgnette[3]. »

L’esthétique dramatique de Mallarmé ne part pas du théâtre comme d’un ordre premier et qui se suffise, mais du Livre. Sa doctrine du théâtre est l’efflorescence, la rêverie et comme la fumée indéfinie de sa vision du Livre.

« Solennités tout intimes, écrivait-il dans le premier numéro de la Dernière Mode, l’une de placer le couteau d’ivoire dans l’ombre que font deux pages jointes d’un volume ; l’autre luxueuse, fière et si spécialement parisienne : une première dans n’importe quel endroit. » Mais il ne concevait la seconde qu’à l’image de l’autre. La virtualité indéfinie qu’il voulait pour l’œuvre poétique, elle serait, dans le théâtre idéal, figurée, objectivée par l’épanouissement de la musique et du mouvement,

  1. Divagations, p. 165.
  2. La Musique et les Lettres, p. 77.
  3. Œuvres posthumes (éd. du Mercure), p. 105.