Page:Thibaudet - La Poésie de Stéphane Mallarmé.djvu/378

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tragique du drame, subsiste et s’enchaîne la musique, dont la présence, incessamment, retenant cette larme dans les hauteurs, insinue à l’assistance que le drame, malgré tout, va se résoudre en clarté.

Ainsi, de l’ancien mélodrame, l’accompagnement instrumental est défini le « dispensateur du mystère ». Et dans ces lignes ne saurait-on voir pressenti le drame de Maeterlinck ? Ce mystère sous la figure de la musique, dans lequel baigne le mélodrame, Maeterlinck l’a détaché de la musique pour l’incorporer au drame et pour composer à ses mots leur atmosphère. Et les musiciens qui se sont attachés à son œuvre n’ont fait qu’y reprendre le bien de la musique. Mallarmé ne s’y est pas trompé. « Il semble, écrit-il à propos de Pelléas et Mélisande, que soit jouée une variation supérieure de l’admirable vieux Mélodrame[1]. » Tout y devient musique, à tel point que la musique la plus fine, le violon, « nuirait, par inutilité ».

La musique, dans la synthèse du théâtre idéal, a pour puissance propre la suggestion. Le théâtre ordinaire nous commande de supposer, dès l’abord, l’existence de l’action et des personnages. « Comme si cette foi exigée du spectateur ne devait pas être précisément la résultante par lui tirée du concours de tous les arts suscitant le miracle, autrement inerte et mol, de la scène[2]. » Tel est le rôle de la musique, qui est comme le sang de l’action, l’afflux visible et ininterrompu de la vie. « Un auditoire éprouvera cette impression que, si l’orchestre cessait de déverser son influence, le mime resterait, aussitôt, statue[3]. »

On reconnaît là les idées de Wagner. Pourtant Mallarmé estimait la réforme wagnérienne en défaut sur deux points.

D’abord, œuvre d’un musicien de génie, elle sacrifiait nécessairement la poésie à la musique.

  1. Divagations, p. 221.
  2. Divagations, p. 143.
  3. Divagations, p. 144.