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LES FORMES DE SA POESIE 383

peu près les grandes poses humaines, et comme notre plastique morale ? Statuaire égale à l’interne opération par exemple de Descartes, et si le tréteau significatif d’alors avec l’unité de personnage, n’en profite, joignant les planches et la philosophie, il faut accuser le goût notoirement érudit d’une époque retenue d’inventer malgré sa nature prête, dissertatricc et neutre, à vivifier le type abstrait * ». De sorte que les trois unités ne se- raient que trois marches vers un piédestal vide, vers une quatrième unité demeurée tout idéale, celle de personnage.

Je ne connais pourtant qu’une œuvre qui soit, vrai- ment et consciemment, faite selon cette formule appli- quée par Mallarmé à Hamlet et à nos classiques. C’est — et il n’y songeait sans doute pas — On ne badine pas avec l’Amour, qui comporte d’ailleurs non un person- nage, mais deux. Musset, de propos délibéré, autour de Perdican et de Camille, ne place que des comparses et des grotesques. Le Chœur est conçu très exactement comme la scène animée, la délégation même de la na- ture au retour de Perdican, le simple feuillage grandi qui caresse son front. Ce chef-d’œuvre réalise, je crois, tout ce qui, de l’ingénieuse utopie de Mallarmé, peut se concilier avec l’esprit du théâtre.

Ces jeux subtils, charmants, profonds, sur l’avenir, sur l’esprit, sur l’Idée du théâtre, émanent, en gazes de brume, chez Mallarmé, des sources mêmes, obscures et glacées, de sa poésie. Gazes, brume, tout cela que déploie comme l’atmosphère visible, mouvante et captivée de son corps, la danseuse. Née de la lecture, sa conception du théâtre revient au livre comme retombe aux rivières la vapeur de leurs brouillards. Son imagination motrice, évocatrice du ballet, flotte dans le rayon pur d’un beau vers comme les poussières de l’air dans une barre de soleil, et, autour de ce qui n’existe pas, comme l’encens qui enguirlande « pour la masquer une nudité de lieu »*

i. Divagations, p. 201,