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Page:Thibaudet - La Poésie de Stéphane Mallarmé.djvu/392

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388 LA POÉSIE DE STEPHANE MALLARME

temps, pour Mallarmé, ne soit pas entre les deux poèmes un ordre rationnel, puisque, dans l’édition des Poésies, llérodiade vient en premier.

Elle marque en effet comme la limite et la conclusion du Parnasse. Chef-d’œuvre un peu froid et vain de vir- tuosité technique. Comme Racine dans la première scène de Phèdre, comme Victor Hugo dans les Sept Merveilles du Monde ou les Trônes d’Orient, Mallarmé y file avec une joie orgueilleuse et dans une pure liberté de poète, le beau vers pour lui-même. On y reconnaît tout du Parnasse avec ses antécédents précis, ceux de Gautier, de Baudelaire, de Banville, la préoccupation de réaliser un « chef-d’œuvre » de métier au sens des vieilles cor- porations. Ainsi Verlaine, dans les Poèmes Saturniens, écrit la si curieuse Mort de Philippe II. C’est, en une école poétique, le morceau de concours. Et certes tous les Parnassiens qui avaient en eux quelque sens de poésie ont dépassé cette formule de pure technique. Mallarmé n’est pas resté, lui non plus, enchanté en elle. Mais il en a gardé l’idée de ce que j’appellerai l’absolu de mé- tier, l’œuvre définitive enfermée dans le Livre. Celte œuvre ii la concevra de deux manières alternatives, peut- être opposées : celle, close, de froide, de métallique, d’inutile perfection, puis celle, radiante, qui émane en puissance de suggestion. Comme deux signes dans un carrefour, Hérodiade marque la première, VAprès-Midi la seconde.

Son Hérodiade est la Muse même de la poésie qui l’évoque. Poésie de mots ainsi que l’héroïne est une idole de joyaux, poésie que dans le dédain de la vie et l’exal- tation du verbe métallisé un bain d’or éternel.

Je veux que mes cheveux qui ne sont pas des fleurs A répandre l’oubli des humaines douleurs, Mais de l’or, à jamais vierge des aromates, Dans leurs éclairs cruels et dans leurs pâleurs mates, Observent la froideur stérile du métal, Vous ayant reflétés, joyaux du mur natal, Armes, vases, depuis ma solitaire enfance.