Page:Thibaudet - La Poésie de Stéphane Mallarmé.djvu/41

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il porte la langue à la conquête du silence, d’un silence que l’on reconnaisse encore dans la parole qui l’exprime, comme la neige vite apportée demeure intacte dans la paume chaude qui la tient sans la serrer. Halluciné par ce qu’il devinait non d’inexprimable, mais d’inexprimé, il lutta d’un courage inflexible et doux, mal récompensé, contre la page blanche, son tourment et son dieu. De ses victoires et de ses défaites, il tint à lui-même l’aveu qui lui plut, mais cela qui rendait sa veine rare ne mutila, ne fit informe ou plate nulle de ses lignes écrites. Il garda cette probité fière, cet orgueil adamantin du styliste qui, de chaque phrase, de chaque vers, fait un objet en soi, sans déchet verbal, sans déchéance d’une visée plus haute, consubstantiel à son Idée.

De sa difficulté à écrire, ou plutôt à se satisfaire, est né un peu le problème qui l’inquiéta, sur lequel il parla délicieusement, et dont son influence communiqua de façon exagérée la hantise : S’il y a lieu d’écrire. Une loi fait que la réflexion dérive de l’action empêchée.

Lorsqu’on le représente comme le chantre de la stérilité, c’est à la magnifique et métallique Hérodiade que l’on songe. Et du miroir d’Hérodiade est sorti le Narcisse qui a hanté toute la poésie symboliste.

                                   Ô miroir !
Eau froide par l’ennui dans ton cadre gelée !

« Nul ne naquit avec une imagination plus glacée » dit M. Maurras en citant ces vers. Ils forment en effet comme de longues aiguilles — la métaphore hésite entre la glace, l’or et le diamant — et dans une cristallisation que rien d’oratoire n’anime et que nulle haleine vivante ne vient fondre, se mire l’image identique de tout ce qui refuse, comme une chute, la vie.

La Nourrice

                         Et pour qui, dévorée
D’angoisses, gardez-vous la splendeur ignorée
Et le mystère vain de votre être ?