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410 LA POÉSIE DE STÉPHANE MALLARMÉ

brefs, par la suite, avec expérience, tels rythmes immé- diats de pensée ordonnant une prosodie ». Vers libre, soit, mais dans un sens très spécial. Ces « rythmes im- médiats de pensée ordonnant une prosodie » sont, chez. Mallarmé, un o traitement de l’écrit », et non, comme dans le vers libre moderne, des rythmes de sentiment et un traitement de la parole intérieure. L’idée du vers libre, chez lui, se fait jour dans un sens visuel. « Le papier intervient chaque fois qu’une image, d’elle- même, cesse ou rentre, acceptant la succession d’au- tres ». La signification des mots s’adapte à une certaine .place dans la page. C’est en des places variables, près ou loin du fil conducteur latent, en raison de la vraisem- blance, que s’impose le texte. L’avantage semble d’accé- lérer tantôt et de ralentir le mouvement, le scandant, l’intimant même selon une vision simultanée de la Page : celle-ci prise pour unité, comme l’est antre part le Vers on ligne parfaite ». Voilà l’expression typique de cette esthétique visuelle, à la chinoise, qui est au bout de la poésie française, au bout du Parnasse surtout, avec son développement livresque, et à laquelle, ce qui est piquant et compliqué, Mallarmé, admirable musicien du vers, est amené en partie par des réflexions sur la musique.

« Le genre, que c’en devienne un comme la sympho- nie, peu à peu, à côté du chant personnel, laisse intact l’antique vers, auquel je garde un culte et attribue l’em- pire de la passion et des rêveries ; tandis que ce serait le cas de traiter de préférence (ainsi qu’il suit) tel sujet d’imagination pure ou complexe ou intellect : que ne reste aucune raison d’exclure de la poésie, — unique source ». L’esthétique, ainsi conçue, de la page, n’est aussi que la conclusion logique de l’idée que Mallarmé se faisait de la prose. Si Un Coup de Dés est annoncé dans la note finale de Divagations, c’est qu’en effet, parti du Phénomène Futur avec sa phrase encore char- ’nue, arrondie, oratoire, ce recueil de prose aboutissait, par une courbe originale et persévérante, à Un Coup de Dés ; juxtaposition des mots, accent mis non sur leur