Page:Thibaudet - La Poésie de Stéphane Mallarmé.djvu/442

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façons d’agir ; « ou, par une volonté, à l’insu, qui dure une vie, jusqu’à l’éclat multiple — penser cela ’ » ou le journal et le bruit. « Au gré, selon la disposition, plénitude, hâte ». C’est là son apologue de Prodicus. Son rayonnement vint d’avoir choisi avec un admirable courage la voie ardue, d’avoir été cette « volonté qui dure une vie ». Il avait, je l’ai dit, l’étoffe d’un très fin journaliste ; il n’en voulut rien déployer, n’y voulut rien tailler. Pour garder intacte la volonté de plénitude qui en durant une vie abrégea cette vie, il accepta d’exercer un métier qui soutira stérilement soi> temps. « Pas un seul jour, disait-il à M. Coolus, je n’ai îemonté la rue de Rome pour me rendre au collège Rollin sans avoir la tentation aiguë, en traversant le boulevard des Batignolles, de me jeter par-dessus le pont du chemin de fer et d’en finir avec la vie 3 ». Il porta dans la carrière littéraire l’abnégation d’un capitaine Renaud. Et cela fut assez rare, assez unique dans son époque pour que le même mot vînt spontanément à la pensée et aux lèvres de ceux qui l’entouraient, le mot qui fut le principe d’une influence morale plus que littéraire : un héros.

Mais comme sa délicatesse d’honnête homme le préservait de tout ce qui dans un tel mot prête à une attitude guindée ! Il méprise ce qui sous l’apparence de la plénitude est hâte, ce qui sous la figure de la penséo est bavardage : toutes les puérilités d’école, les « manifestes ». Il se défendit d’avoir des « disciples ». « L’enseignement contraint qui le donne, qui l’accepte, sauf une œuvre : acte toujours intime 3 ». Qu’on lise dans Grands faits divers tout le chapitre Solitude. Il lui fallut beaucoup de souplesse pour se préserver d’une maîtrise. Dans la cour que lui faisaient ses mardis, il savait se retremper inépuisablement à sa solitude intérieure, il éloignait d’une caresse les petites misères de la vie litté-

1. Divagations, p. a66.

2. Paris-Journal, 18 janvier igtl.

3. Divagations, p. 338