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442 LA POÉSIE DE STÉPHANE MALLARMÉ

avait été réellement un de ces esprits exceptionnels qui marquent à leur empreinte toute une génération, on nous eût révélé en quoi consistaient ses leçons. Or rien de pareil ne nous a été fourni. D’où l’on peut conclure que la conversation de Mallarmé produisait sur ses admirateurs l’impression d’uno ivresse voluptueuse dont ils gardaient le souvenir confus sans pouvoir en préciser les détails . »

C’est que, d’une conversation, le papier détache et retient des notions discontinues ou Un mouvement ora- toire ; il no conserve pas une manière d’être, une atti- tude, un rayonnement.

Mallarmé eût voulu, en vieux Parnassien, inspirer la probité du métier littéraire. Mais aussi, et surtout, il en inspira l’orgueil. Le Soleil des Morts et sa ritournelle de Y « élite » est bien caractéristique. Mallarmé vit, avec un peu d’illusion, se former autour de l’art très haut une troupe de choix, qui lui suggérait quelque image ana- logue à ce que fut autrefois une aristocratie, une Cour. « Millier le même ou à peu près, en auditoires, mobilo à l’annonce, quelque part, de beau : le chef-d’œuvre convoque. Loin de prétendre, dans l’assemblée, à une place, comme de fondation ou corporative, pour le pro- ducteur : il paraîtra, se montrant en l’anonymat et le dos convenables, je compare, à un chef d’orchestre — sans interception, devant le jaillissement de génie pos- sible — ou, il rentre, selon son gré, à l’hémicycl8 assister, dans les rang a. »

Dé cette « Cour » idéale l’image parut cependant plus précise lorsque les poètes, mis en mouvement par un journaliste, proclamèrent Mallarmé leur « Prince ». La chronique s’esclaffa. A sa mort, le fond des articles nécrologiques porta moins sur son art — et pour cause — que sur le titre dont il n’avait qu’à moitié souri. Emmanuel Arène écrivait : « C’était un prince dés

i. Le Symbolisme, p. 88. 2. Divagations, p.. 355.