Page:Thibaudet - La Poésie de Stéphane Mallarmé.djvu/73

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tout d’un coup, se rend à l’évidence, même ardue, impliquée en la parole, et consent à échanger son billon contre des présomptions exactes et supérieures, bref la certitude pour chacun de ne pas être refait ».

Ainsi la foule apporte devant le jeu poétique une âme de foi. Faute de saisir, elle peut au moins sentir noblement que quelque chose existe, digne d’être saisi. La meilleure glose à donner ici serait deux pages de Villiers. dans la Machine à Gloire des Contes cruels, sur l’effet divers de ces deux noms : Scribe et Milton. (La nouvelle, dédiée à Mallarmé et où son tour d’esprit se reconnaît, est peut-être née d’une conversation entre les deux poètes.)

Le Poète, un coup d’œil jeté à la chevelure de la femme, au flambeau vivant qui l’hallucine, prononce devant la foule muette le sonnet :

La chevelure, vol d’une flamme à l’extrême
Occident...

La Femme, simplement, montrée en poésie pure : motif qui déjà dans le Phénomène futur le hantait.

... Ne mouvant astres ni feux au doigt.

Le joyau de l’œil suffit, d’où émane la nuée ardente de la chevelure ;

                                   exploit
De semer de rubis le doute qu’elle écorche
Ainsi qu’une joyeuse et tutélaire torche.

Doute, attente de la foule devant le spectacle inaccoutumé, et que suffit à « écorcher de lumière » la présence, sinon le sentiment de la beauté, point recouverte des oripeaux extérieurs, mais immobilisée dans son Idée.

Elle saute de l’estrade devant les visiteurs ébahis, cependant que le Poète continue son boniment en une prose qu’il croit plus accessible. « La personne qui a