Page:Thibaudet - La Poésie de Stéphane Mallarmé.djvu/94

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phique et d’art. Et, j’oubliais la tout aimable gratuité de l’entrée[1]

On l’imagine humanisant davantage ce démon de l’analogie au point d’en faire un Ariel familier, le diluant par une eau qui fût l’eau vive de tout cela dont sa conversation gardait des flaques nostalgiques. Trop fier pour le journalisme, il lui eût fallu, toute sa vie, la Dernière Mode. Son goût pour les analogies rappelait celui des femmes pour les harmonies de la toilette. Et la Dernière Mode, dans l’exquis raccourci de ses huit numéros, forme autour de la femme un jeu d’analogies galantes. À l’œuvre poétique de Mallarmé, qui nous apparaît souvent sans atmosphère presque, rétractée et glacée sous de métalliques aspects de paysage lunaire, cette souplesse, cette ironie, cette main délicate occupée à manier des toilettes, à disposer des meubles, à faire éclore des bijoux, eussent donné de l’air, des lointains, une enveloppe de ciel et de rosée. Et je pense aussi aux quatrains des Éventails, des Galets, des Œufs de Pâques. Cette fée de la fantaisie, en reployant sous son bras, pour disparaître au tournant, la couverture bleue du journal de modes, emportait avec elle tout un destin dont Mallarmé évoqua l’ombre par ses causeries et quelques pages.

Je préfère telles chroniques de la Dernière Mode à des raccourcis comme « le papier blême de tant d’audace ». (C’est le poignard de Théophile) ou la « goutte d’encre, apparentée à la nuit sublime ». Le voici par exemple qui rencontre le grand duc Constantin devant les Folies-Bergère : « Qui sait dans son paletot-sac fermé sur ses plaques et ses ordres, s’il n’enviait pas à son tour la magnificence authentique de l’Homme tatoué, plus beau par un luxe distinctif inscrit sur sa peau même que tous les autres hommes, et seul marqué des caractères ineffaçables qui conviennent à un chef[2]. » Et dans le Paris de vacances envahi par les troupes d’Europe et d’Amé-

  1. Divagations, p. 310.
  2. Dernière Mode, n° 5.