Page:Thiers Adolphe - Histoire de la Révolution française t1 (1839).pdf/403

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touré de ses aides-de-camp, donnait des ordres et recevait les hommages du peuple et des fédérés. La sueur lui coulait sur le visage. Un homme que personne ne connaît, perce la foule, s'avance, tenant une bouteille d'une main, un verre de l'autre : Mon général, vous avez chaud, buvez un coup. Cet homme lève sa bouteille, emplit un grand verre, le présente à M. de Lafayette. M. de Lafayette reçoit le verre, regarde un moment l'inconnu, avale le vin d'un seul trait. Le peuple applaudit. Lafayette promène un sourire de complaisance et un regard bénévole et confiant sur la multitude ; et ce regard semble dire : « Je ne concevrai jamais aucun soupçon, je n'aurai jamais aucune inquiétude, tant que je serai au milieu de vous. »

« Cependant plus de trois cent mille hommes et femmes de Paris et des environs, rassemblés dès les six heures du matin au Champ-de-Mars, assis sur des gradins de gazon qui formaient un cirque immense, mouillés, crottés, s'armant de parasols contre les torrens d'eau qui les inondaient, s'essuyant le visage, au moindre rayon du soleil, rajustant leurs coiffures, attendaient en riant et en causant les fédérés et l'assemblée nationale. On avait élevé un vaste amphithéâtre pour le roi, la famille royale, les ambassadeurs et les députés. Les fédérés les premiers arrivés commencent à danser des farandoles ; ceux qui suivent se joignent à eux, en formant une ronde qui embrasse bientôt une partie du Champ-de-Mars. C'était un spectacle digne de l'observateur philosophe, que cette foule d'hommes, venus des parties les plus opposées de la France, entraînés par l'impulsion du caractère national, bannissant tout souvenir du passé, toute idée du présent, toute crainte de l'avenir, se livrant à une délicieuse insouciance, et trois cent mille spectateurs de tout âge, de tout sexe, suivant leurs mouvements, battant la mesure avec les mains, oubliant la pluie, la faim, et l'ennui d'une longue