Page:Thoinan - Les Relieurs français, 1893.djvu/206

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en imitation d’écaille[1]. Le système de la décoration est celui des entrelacs à triples filets, et la disposition des compartiments découpés suivant la forme des entrelacs qui les entourent est un excellent spécimen du genre. Les motifs de dorures, à tortillons et aux petits fers pointillés, sont peu importants et se remarquent moins que tous ces entrelacs variés s’enchaînant naturellement et avec élégance.

La doublure en maroquin citron avec compartiments de couleurs est d’une composition visant à la richesse, mais sans grand sentiment artistique. Ce sont des découpures de peaux de couleurs d’une grande naïveté formant rosace et des pièces de coins taillées en parasols chinois. La dentelle des bords est poussée très adroitement, ainsi que les petits fers pointillés à dessins contournés, dont les motifs produiraient un meilleur effet s’ils étaient moins disséminés.

L’exécution est, à notre idée, fort habile et quoique le maître ait fait preuve plus tard d’une plus grande assurance de main, nous n’en considérons pas moins son travail, l’un de ses premiers évidemment, comme supérieur à un grand nombre de dorures du même style qui sortirent par la suite de chez ses confrères, ses contemporains.

L’ensemble de la composition et les moyens employés (entrelacs et fers filigranés) étaient réellement nouveaux ; ils faisaient diversion aux encadrements intérieurs avec fers aux traits fins se pratiquant depuis plus de vingt ans[2].

Nous croyons donc que le praticien qui se montra si sévère n’avait pas suffisamment examiné le volume qu’il critiquait et se pressa un peu trop, car il revint, sans le vouloir, c’est vrai, mais très explicitement, sur son premier jugement. Il le fit à propos de reliures anonymes aux marques des frères Dupuy, de Séguier et de Fouquet dont il vanta l’exécution en les attribuant au Gascon, alors que ces œuvres ne peuvent être que de Florimond Badier lui-même.

Mais il nous faut revenir à cet exemplaire de l’Imitation pour y étudier une particularité qui emprunte une certaine valeur à l’apposition alors inusitée du nom de l’exécutant poussé en or, particularité qui ne peut être elle-même qu’une véritable signature pour beaucoup d’autres reliures où elle est reproduite. Nous voulons parler d’une tête au pointillé qui ne se répète pas moins de dix fois sur chacun des plats extérieurs et de seize fois sur chaque doublure, soit pour le volume un total de cinquante-deux têtes. Est-il admissible que l’auteur de cette reliure y aurait prodigué autant de fois un fer qui

  1. Les relieurs d’autrefois, nous l’avons déjà remarqué, n’employèrent jamais le mot de mosaïque et donnaient à ce genre de travail le nom technique de reliures à compartiments. (Voyez Dudin.) On applique aujourd’hui cette dénomination aux diverses divisions d’une composition d’ensemble, mosaïquée ou non, sans avoir égard à la signification spéciale que les anciens relieurs lui attribuaient.
  2. M. Destailleur possédait un volume qui s’est vendu sous le n° 740 de son catalogue : Les plaidoyez et harangues de Monsieur Le Maistre. Paris, P. Le Petit, 1657, in-4 et dont la doublure du deuxième plat portait le nom de l’artiste qui l’avait doré : Badier, facieb mais sans le mot invenit. Sa création remontant à douze ans passés, il n’avait plus à la souligner. Voici du reste la description de cette reliure d’après le catalogue : « mar. rouge, dos et plats couverts de comp. de fil. droits et courbes, dorures au pointillé, doublé de mar. rouge dent., coins remplis et milieux, tr. dor. M (D. Morgaud, 1891.)