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Page:Thomas - La Philosophie de Gassendi, 1889.djvu/276

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MORALE

De plus, comme il existe en nous deux parties essentiellement distinctes, l'une raisonnable, l'autre irraisonnable, et que chacune d’elles est susceptible d’habitudes, il en résulte que nous pouvons distinguer deux sortes de vertus : les vertus qu’on peut appeler intellectuelles et les vertus morales. Toutefois, les vertus morales dépendent elles-mêmes des vertus intellectuelles, car il n’y a point de vertu sans raison. De là cette définition générale de la vertu que donne Aristote : « La vertu est une habitude élective qui consiste dans un juste milieu défini ou déterminé par la raison et la prudence[1]. »

La vertu est une habitude, car celui-là assurément ne saurait être dit vertueux qui ne fait le bien que par occasion et ne règle pas constamment sa conduite suivant la règle de l’honnête.

C’est une habitude élective, c’est-à-dire prise volontairement et avec réflexion ; car où règne la fatalité aveugle, il ne saurait, de l’aveu de tous les philosophes, y avoir place pour la moralité ;

C’est enfin une habitude qui consiste dans un juste milieu, c’est-à-dire dans une sorte d’état intermédiaire entre deux excès opposés. Voyons comment Aristote entend et explique ce dernier caractère. Ce terme de milieu, nous dit-il, peut se prendre de deux manières différentes. Il signifie d’abord le milieu de la chose, « medium reî » : tel est, par exemple, le nombre 6 par rapport aux nombres 2 et 10 ; c’est le milieu arithmétique ; il peut signifier également le milieu par rapport à nous : « medium quoad nos », c’est-à-dire ce qui n’est ni au-dessus, ni au-dessous de ce qui nous est convenable. C’est le milieu de raison, ainsi nommé, « tant parce qu’il est prescrit par la raison elle-même, que parce qu’il consiste dans cette raison en proportion dite géométrique que le sage seul connaît ». Or, la vertu consiste non dans le milieu de la chose, mais dans le milieu par rapport à nous et, comme elle a pour objet les actions et les passions dans lesquelles il y a excès ou défaut, elle les modère, les maintient précisément au point convenable, les empêchant soit de rester en deçà de ce point, soit d’aller au delà.

On comprend dès lors pourquoi Aristote fait consister la vertu

  1. « Electivus habilus in mediocritate quæ ad nos consistens, ratione definitus, ac prout vir prudens definierit. » (Gass ., II, 737.)