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Page:Thomen - Les Aventures acrobatiques de Charlot — Charlot aviateur.djvu/40

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Il se comportait assez bien sur les flots, le radeau auquel Charlot et Nestor avaient confié leur triste destinée. Du reste, au large et par ce temps calme, il y avait peu de vagues. « C’est une mer d’huile constata Charlot, toujours optimiste. — En effet, ricana Nestor, plus pessimiste. Dommage que dans cette huile ne nagent pas quelques sardines, La sardine à l’huile est un hors-d’œuvre que j’apprécie fort en toutes occasions, raison de plus quand je suis talonné par la faim, comme c’est le cas en ce moment. — Le fait est que voilà maintenant trois jours que nous sommes en pleine mer, sans rien à nous mettre sous la dent ! Si cette situation se prolonge, nous pourrons baptiser notre radeau : Radeau de la Méduse no 2 », en souvenir du premier de sinistre mémoire ! » Au bout du quatrième jour, la faim talonnait si fortement les naufragés qu’il leur vint, à chacun, la même pensée coupable : celle de manger l’autre, le compagnon de misère.

Mais, comme ils n’avaient pas les mêmes goûts, alors que Charlot se serait contenté d’un Nestor en pot-au-feu. Nestor n’imaginait pas Charlot autrement que rôti à la broche, à la façon cannibale. Cette situation intolérable ne pouvait durer plus longtemps. Au matin du cinquième jour, Charlot dit à Nestor : « Il faut en finir ! Qu’en dis-tu ? — C’est aussi mon avis ! — Donc nous allons tirer à la courte paille pour savoir qui… qui… qui sera mangé. — Pour savoir qui… qui… qui sera mangé, ohé, ohé ! — C’est cela ! comme dans la chanson du Petit Navire. » Charlot coupa deux petits morceaux de bois d’inégale longueur, les plaça dans son poing fermé et invita Nestor à choisir. Le sort favorisa ce dernier. Il en fut si content que dans un subit accès de démence il se précipita sur Charlot qui, dès lors, lui appartenait en toute propriété, en s’écriant : « Pour aller plus vite, au lieu de te rôtir, je te mangerai à la croque-au-sel » L’instinct de la conservation incita la victime à se défendre. Charlot se débattit si bien, sur cet étroit plancher mouvant, que tous deux tombèrent à la mer, heureusement peu profonde à cet endroit.

Au fond de l’eau Charlot fit une agréable découverte, Parmi les étoiles de mer et les coquillages, il trouva une caisse de biscuits qu’il s’empressa de transporter sur le radeau où lui et son compagnons avaient réussi à se réinstaller. Cette caisse était très étanche et l’eau de mer n’avait pas encore eu le temps d’abimer les biscuits. Et, dit Charlot, en lisant le prospectus du fabricant, les Biscuits Tromplafaim ne sont pas des biscuits comme les autres. Non seulement, ils nourrissent autant que les biscuits ordinaires, mais ils ont encore l’avantage d’être soporifiques. Ils procurent un sommeil agréable, et prolongé, exempt de rêves et surtout de cauchemars. Recommandés aux personnes dont le ravitaillement en vivres est momentanément suspendu, les Biscuits Tromplafaim, comme leur nom l’indique, trompent la faim, en vertu du proverbe : « Qui dort dîne. » Charlot et Nestor mangèrent tout le contenu de la boîte et ne tardèrent pas à s’endormir. Aussitôt, le temps se gâta et la mer devint agitée. Simple coïncidence, d’ailleurs.