Page:Thoreau - Walden, 1922.djvu/105

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trille, de même avais-je mon rire intérieur ou gazouillement étouffé qu’elle pouvait entendre sortir de mon nid. Mes jours n’étaient pas les jours de la semaine portant l’estampille de quelque déité païenne, plus que n’étaient hachés en heures et rongés par le tic-tac d’une horloge ; car je vivais comme les Indiens Puri, dont on dit que « pour hier, aujourd’hui et demain ils n’ont qu’un seul mot, et expriment la diversité de sens en pointant le doigt derrière eux pour hier, devant eux pour demain, au-dessus de leur tête pour le jour qui passe ». Ce n’était autre que pure paresse aux yeux de mes concitoyens, sans doute ; mais les oiseaux et les fleurs m’eussent-ils jugé suivant leur loi, que point n’eussé-je été pris en défaut. L’homme doit trouver ses motifs en lui-même, c’est certain. La journée naturelle est très calme, et ne réprouvera guère son indolence.

J’avais dans ma façon de vivre au moins cet avantage sur les gens obligés de chercher leur amusement au dehors, dans la société et le théâtre, que ma vie elle-même était devenue mon amusement et jamais ne cessa d’être nouvelle. C’était un drame en maintes scènes et sans fin. Si toujours en effet nous gagnions notre vie et la réglions suivant la dernière et meilleure façon de nous apprise, nous ne serions jamais tourmentés par l’ennui. Suivez votre génie d’assez près, et il ne faillira pas à vous montrer d’heure en heure un point de vue nouveau. Le ménage était un gai passe-temps. Mon plancher était-il sale, que je me levais de bonne heure, et, installant dehors tout mon mobilier sur l’herbe, lit et bois de lit en un seul paquet, aspergeais d’eau le plancher, le saupoudrais de sable pris à l’étang, puis avec un balai le frottais à blanc ; et les villageois n’avaient pas rompu le jeûne que le soleil du matin avait suffisamment séché ma maison pour me permettre d’y aménager de nouveau, de sorte que mes méditations se trouvaient presque ininterrompues. Rien n’était amusant comme de voir tous mes ustensiles de ménage sur l’herbe, en petit tas comme un ballot de bohémien, et ma table à trois pieds, d’où je n’avais enlevé les livres non plus que la plume ni l’encre, là debout emmi les pins et les noyers. Ils avaient l’air contents eux-mêmes de sortir, et comme peu disposés à se voir rentrés. J’avais parfois envie de tendre une toile au-dessus d’eux et de m’établir là. C’était une joie de voir le soleil briller sur le tout et d’entendre souffler dessus la libre brise ; tant les objets les plus familiers paraissent plus intéressants dehors que dans la maison. Un oiseau perche sur la branche voisine, l’immortelle croît sous la table aux pieds de laquelle la ronce s’enroule ; des pommes de pins, des bogues de châtaignes, des feuilles de fraisier jonchent le sol. Il semblait que ce fût la façon dont ces formes en étaient venues à se transmettre à notre mobilier, aux tables, chaises, et bois de lit, – parce qu’ils s’étaient jadis tenus parmi elles.