Page:Thoreau - Walden, 1922.djvu/116

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de la trompette des grenouilles géantes, les esprits opiniâtres d’anciens buveurs et fêtards, restés impénitents, essayant de chanter une ronde dans leur lac stygien – si les nymphes de Walden veulent me pardonner la comparaison, car, malgré la rareté des herbes, il y a là des grenouilles, – qui volontiers maintiendraient les règles d’hilarité de leurs joyeuses tables d’antan, quoique leurs voix se soient faites rauques et solennellement graves, raillant l’allégresse, que le vin ayant perdu son bouquet ne soit plus que liqueur à distendre la panse, et que la douce ivresse n’arrivant jamais à noyer la mémoire du passé, ne soit plus qu’une simple saturation, un engorgement d’eau, une distension. La plus « aldermanique »[1], le menton sur une feuille de potamot, qui sert de serviette à bouche baveuse, sous cette rive septentrionale ingurgite une longue gorgée de l’eau jadis méprisée, puis passe à la ronde une coupe en éjaculant tr-r-r-ounk, tr-r-r-ounk, tr-r-r-ounk ! et de quelque crique éloignée s’en vient droit sur l’eau, le même mot de passe répété, là où celle qui vient après en âge et en ceinture a englouti à fond sa part ; et quand cette observance a fait le tour des rives, alors éjacule le maître des cérémonies, avec satisfaction, tr-r-r-ounk ! sur quoi chacune à son tour de faire écho à l’autre sans qu’y manque la porteuse de panse la moins gonflée, la plus percée, la plus flasque, afin qu’il n’y ait pas d’erreur ; et la coque passe et repasse à la ronde jusqu’à ce que le soleil dissipe le brouillard du matin, moment où le patriarche, le seul qui ne soit pas alors sous l’étang[2], continue à mugir vainement trounk de temps à autre, en quêtant dans les pauses une réponse.

Je ne suis pas sûr d’avoir jamais entendu de mon défrichement le bruit du cocorico, et je pensai qu’il vaudrait la peine d’entretenir quelque cochet rien que pour sa musique, en qualité d’oiseau chanteur. L’accent de cet ex-faisan sauvage de l’Inde est certainement le plus remarquable qu’émette aucun oiseau, et si l’on pouvait acclimater les coqs sans les domestiquer, ce deviendrait bientôt le bruit le plus fameux de nos bois, surpassant la trompette aiguë de l’oie et la huée du hibou ; alors, imaginez le caquet des poules pour remplir les temps d’arrêt lorsque se reposeraient les clairons de leurs maîtres et seigneurs ! Pas étonnant que l’homme ait ajouté cet oiseau à son fonds domestique, – pour ne rien dire des œufs et des cuisses de poulet. Se promener par un matin d’hiver dans un bois où ces oiseaux abonderaient, leurs bois natifs, et entendre les cochets sauvages cocoriquer sur les arbres, clairs et stridents sur des milles à travers la terre retentissante, couvrant la note plus faible des

  1. De alderman – magistrat municipal, toujours représenté goitreux et pansu.
  2. Comme « sous la table ».