Aller au contenu

Page:Thoreau - Walden, 1922.djvu/122

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

vers Brighton, – ou Bright-town[1], – lieu qu’il atteindrait Dieu sait quand dans la matinée.

Toute perspective de réveil ou venue à la vie pour un homme mort rend indifférente la question de temps et de lieu. Le lieu où cela peut survenir est toujours le même, et indescriptiblement agréable à tous nos sens. La plupart du temps ce n’est qu’aux circonstances extérieures et passagères que nous permettons d’inspirer nos actions. Elles sont, en fait, la cause de notre distraction. Très près de toutes choses est ce pouvoir qui en façonne l’existence. Près de nous les plus grandes lois sont continuellement en état d’exécution. Près de nous n’est pas l’ouvrier que nous avons loué, avec lequel nous aimons si fort causer, mais l’ouvrier dont nous sommes la tâche.

« Qu’immense et profonde est l’influence des pouvoirs subtils du Ciel et de la Terre ! »

« Nous cherchons à les découvrir, et nous ne les voyons pas ; nous cherchons à les entendre, et nous ne les entendons pas ; identifiés à la substance des choses, ils ne peuvent en être isolés. »

« Ils font que dans tout l’univers les hommes purifient et sanctifient leurs cœurs, et revêtent les habits de fête pour offrir sacrifices et oblations à leurs ancêtres. C’est un océan de subtiles intelligences. Ils sont partout, au-dessus de nous, à notre gauche, à notre droite ; ils nous environnent de toutes parts. »

Nous sommes les sujets d’une expérience qui n’est pas de petit intérêt pour moi. Ne pouvons-nous quelque temps nous passer de la société de nos compères en ces circonstances, – avoir nos propres pensées pour nous tenir compagnie ? Confucius dit avec raison : « La vertu ne reste pas là comme un orphelin abandonné ; il lui faut de toute nécessité des voisins. »

Grâce à la pensée nous pouvons être à côté de nous-mêmes dans un sens absolument sain. Par un effort conscient de l’esprit nous pouvons nous tenir à distance des actions et de leurs conséquences ; sur quoi toutes choses, bonnes et mauvaises, passent près de nous comme un torrent. Nous ne sommes pas tout entiers confondus dans la nature. Je peux être ou le bois flottant du torrent, ou Indra dans le ciel les yeux abaissés dessus. Je peux être touché par une représentation théâtrale ; d’autre part je peux ne pas être touché par un événement réel qui paraît me concerner beaucoup plus. Je ne me connais que comme une entité humaine ; la scène, pour ainsi dire, de pensées et passions ; et je suis convaincu d’un certain dédoublement grâce auquel je peux rester aussi éloigné de moi-même que d’autrui. Quelque opi-

  1. Bright est le nom familier que l’on donne aux bœufs en Amérique. Town veut dire ville.