Page:Thoreau - Walden, 1922.djvu/165

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libre du lac entier. Étonnant le soin avec lequel ce simple fait est annoncé, – ce meurtre de piscine se saura, – et de mon lointain perchoir je distingue les ondulations circulaires lorsqu’elles ont une demi-douzaine de verges de diamètre. Vous pouvez surprendre jusqu’à une punaise d’eau (Gyrinus) en progrès de marche continue sur la surface polie à un quart de mille ; car elles sillonnent l’eau légèrement, produisant une ride visible que limitent deux lignes divergentes, alors que les insectes patineurs glissent sur lui sans le rider de façon perceptible. Lorsque la surface est fort agitée, plus de patineurs ni de punaises, mais évidemment les jours de calme, ils quittent leurs havres et s’éloignent du rivage en glissant à l’aventure par courts soubresauts jusqu’à ce qu’ils la couvrent en entier. C’est une occupation calmante, par un de ces beaux jours d’automne, quand toute la chaleur du soleil s’apprécie pleinement, de prendre pour siège une souche d’arbre sur quelque hauteur comme celle-ci, l’étang sous les yeux, et d’étudier les cercles de rides qui s’inscrivent sans cesse sur sa surface autrement invisible parmi le ciel et les arbres réfléchis. Sur cette grande étendue pas un trouble qui aussitôt doucement ne s’atténue et s’apaise, comme dans le vase d’eau ébranlé les cercles tremblants en quête de ses bords pour tout retrouver son égalité. Pas un poisson ne peut sauter plus qu’un insecte tomber sur l’étang sans que la nouvelle s’en répande en rides élargissant leurs cercles, en lignes de beauté, comme qui dirait le constant affleurement de sa fontaine, la douce pulsation de sa vie, le soulèvement de son sein. Les frissons de joie ne se distinguent pas des frissons de douleur. Que paisibles les phénomènes du lac ! De nouveau brillent les œuvres de l’homme comme au printemps – que dis-je, pas une feuille, une brindille, une pierre, une toile d’araignée, qui n’étincelle alors au milieu de l’après-midi, comme lorsque la rosée les recouvre par un matin de printemps. Pas un mouvement d’aviron ou d’insecte qui ne se traduise par un soudain éclair ; et si l’aviron tombe, que délicieux l’écho !

En tel jour, de septembre ou d’octobre, Walden est un parfait miroir de forêt, serti tout autour de pierres aussi précieuses à mes yeux que si elles fussent moindres ou de plus de prix. Rien d’aussi beau, d’aussi pur, et en même temps d’aussi large qu’un lac, peut-être, ne repose sur la surface de la terre. De l’eau ciel. Il ne réclame point de barrière. Les nations viennent et s’en vont sans le souiller. C’est un miroir que nulle pierre ne peut fêler, dont le vif-argent jamais ne se dissipera, dont sans cesse la Nature ravive le doré ; ni orages, ni poussière, ne sauraient ternir sa surface toujours fraîche – un miroir dans lequel sombre toute impureté à lui présentée, que balaie et époussette la brosse brumeuse du soleil – voici l’essuie-meubles