Page:Thoreau - Walden, 1922.djvu/18

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de ma pensée depuis l’âge où l’homme commence à penser, m’avait amené ? Et pour quelle fin ! Pour un bonheur dont il n’était pas un mot de Walden qui ne fût la réalisation triomphante… Alors, la Guerre éclata, qui fut l’agent d’une des ultimes convulsions du monde. La vérité présentée à mon esprit par Henry David Thoreau en fut-elle modifiée ? Voici qu’au contraire les événements de ces dernières années, et les événements plus confirmatifs des temps présents, la montrent plus que jamais et à jamais vérité, et que si Walden n’est plus le livre prophétique qu’il me parut être avant la Guerre, il explique les temps nouvellement commencés et prépare aux temps imminents.

Oui, je m’aperçois que dans cette présentation j’ai manqué à parler de l’auteur et du livre lui-même en critique ou en rhétoricien, que je n’ai pas plus conté l’histoire du Transcendentalisme américain, dont Boston fut le centre au cours du XIXe siècle, et Emerson, le chef, et Henry David Thoreau, l’un des adeptes, que je n’ai nommé Alcott et Margaret Fuller. Je n’ai parlé ici ni du Dial, ce périodique autour duquel gravitèrent les Transcendentalistes et qui publia tant de pages de l’auteur de Walden, ni de Brook Farm, ce phalanstère fondé par George Ripley, à l’instar du phalanstère français de Charles Fourier, et qui fort les occupa, à l’exception, je suppose, de Henry David Thoreau, lequel avait trouvé mieux. Mais c’est que je crois vain, le scalpel d’une main et de l’autre une loupe, de disséquer pour le seul profit de la curiosité et de l’érudition un homme dont la pensée s’impose. Ce n’est pas nous qui avons à nous pencher sur Henry David Thoreau. C’est lui qui se penche sur nous. Et notre rôle est de nous laisser pénétrer de son influence. Non plus ne m’inquiétè-je de le voir mourir phtisique à quarante-cinq ans, en 1862, non plus de savoir qu’au bout de deux ans et demi de séjour au bord de l’étang de Walden il quitta sa cabane pour obéir à d’autres appels. Et quant à ceux qui lui opposent son célibat, je les renvoie au chapitre de La Case de l’Oncle Tom intitulé : « Une Colonie de Quakers », où ils trouveront accueillant l’esclave en fuite, toute une famille, père, mère, enfants, voisins, dont le tableau de bonheur parfait, tracé par une contemporaine et compatriote de Henry David Thoreau, répond aux vues de ce dernier, et pour n’appeler nulles critiques ni représailles humaines.

Ce qui seul doit ici retenir notre attention, c’est la vérité déroulée du commencement à la fin de ce livre, et la mise à l’index de toutes les erreurs ; c’est de voir, au fur et à mesure qu’on avance dans sa lecture, la possibilité de dissiper ce malaise et ce mécontentement de la vie, telle que nous la vivons, que je sens autour de moi, alors que s’y révèle le loisir de faire de cette vie la source d’enchantement qu’elle peut être, qu’elle est. Sans doute pour cela