Page:Thoreau - Walden, 1922.djvu/191

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autre. Nous sommes si dégradés que nous ne pouvons parler simplement des fonctions nécessaires de la nature humaine. Aux temps plus primitifs, en certains pays, il n’était pas de fonction qui ne reçût de la parole un traitement respectueux et ne fût régie par la loi. Rien n’était grossier au regard du législateur hindou, quelque offensante que soit la chose pour le goût moderne. Il enseigne la façon de manger, boire, coïter, évacuer l’excrément et l’urine, etc., relevant ce qui est bas, sans s’excuser faussement en traitant ces choses de bagatelles.

Tout homme est le bâtisseur d’un temple, appelé son corps, au dieu qu’il révère, suivant un style purement à lui, et il ne peut s’en tirer en se contentant de marteler du marbre. Nous sommes tous sculpteurs et peintres, et nos matériaux sont notre chair, notre sang, nos os. Toute pensée élevée commence sur-le-champ à affiner les traits d’un homme, toute vilenie ou sensualité, à les abrutir.

John le Fermier était à sa porte un soir de septembre, après une dure journée de labeur, l’esprit encore plus ou moins occupé de son travail. S’étant baigné, il s’assit afin de recréer en lui l’homme intellectuel. Le soir en était un plutôt frais, et quelques-uns des voisins de notre homme appréhendaient la gelée. Peu de temps s’était écoulé depuis qu’il suivait le cours de ses pensées lorsqu’il entendit jouer de la flûte, bruit qui s’harmonisa avec son humeur. Encore pensa-t-il à son travail ; mais le refrain de sa pensée était que quoique celui-ci continuât de rouler dans sa tête, et qu’il se découvrît en train de projeter et de machiner à son sujet contre tout vouloir, cependant il l’intéressait fort peu. Ce n’était guère plus que la crasse de sa peau, cette crasse constamment rejetée. Or, les sons de la flûte parvenaient à ses oreilles d’une sphère différente de celle dans laquelle il travaillait, et suggéraient du travail pour certaines facultés qui sommeillaient en lui. Ils écartaient doucement la rue, le village, l’état dans lequel il vivait. Une voix lui dit, — « Pourquoi rester ici à mener cette triste vie de labeur écrasant, quand une existence de beauté est possible pour toi ? Ces mêmes étoiles scintillent sur d’autres champs que ceux-ci. — » Mais comment sortir de cette condition-ci pour effectivement émigrer là-bas ? Tout ce qu’il put imaginer de faire, ce fut de pratiquer quelque nouvelle austérité, de laisser son esprit descendre dans son corps pour le racheter, et de se traiter lui-même avec un respect toujours croissant.