Page:Thoreau - Walden, 1922.djvu/206

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que son importance comme son indépendance sont évidentes. Cela se passait vers la fin de l’été. Voici que nous étions en novembre.


Déjà le vent du nord avait commencé à refroidir l’étang, quoiqu’il fallût bien des semaines de vent continu pour y parvenir, tant il est profond. Lorsque je me mis à faire du feu le soir, avant de plâtrer ma maison, la cheminée tira particulièrement bien, à cause des nombreuses fentes qui séparaient les planches. Encore passai-je quelques soirs heureux dans cette pièce fraîche et aérée, environné des grossières planches brunes remplies de nœuds, et de poutres avec l’écorce là-haut au-dessus de la tête. Ma maison, une fois plâtrée, ne me fut jamais aussi plaisante, bien qu’elle présentât, je dois le reconnaître, plus de confort. Toute pièce servant de demeure à l’homme ne devrait-elle pas être assez élevée pour créer au-dessus de la tête quelque obscurité où pourrait la danse des ombres se jouer le soir autour des poutres ? Ces figures sont plus agréables au caprice et à l’imagination que les peintures à fresques ou autre embellissement, quelque coûteux qu’il soit. Je peux dire que j’habitai pour la première fois ma maison le jour où j’en usai pour y trouver chaleur autant qu’abri. J’avais une couple de vieux chenets pour tenir le bois au-dessus du foyer, et rien ne me sembla bon comme de voir la suie se former au dos de la cheminée que j’avais construite, de même que je tisonnai le feu avec plus de droit et de satisfaction qu’à l’ordinaire. Mon logis était petit, et c’est à peine si je pouvais y donner l’hospitalité à un écho ; mais il semblait d’autant plus grand que pièce unique et loin des voisins. Tous les attraits d’une maison étaient concentrés dans un seul lieu ; c’était cuisine, chambre à coucher, parloir et garde-manger ; et toutes les satisfactions que parents ou enfants, maîtres ou serviteurs, tirent de l’existence dans une maison, j’en jouissais. Caton déclare qu’il faut au chef de famille (pater familias) posséder en sa villa champêtre « cellam oleariam, vinariam dolia multa, uti lueat caritatem expectare, et rei, et virtuti, et gloriae erit », ce qui veut dire « une cave pour l’huile et le vin, maints tonneaux pour attendre aimablement les heures difficiles ; ce sera à ses avantages, honneur et gloire. » J’avais dans mon cellier une rasière de pommes de terre, deux quartes environ de pois y compris leur charançon, sur ma planche un peu de riz, une cruche de mélasse, et pour ce qui est du seigle et du maïs un peck de chacun.

Je rêve parfois d’une maison plus grande et plus populeuse, debout dans un âge d’or, de matériaux durables, et sans travail de camelote, laquelle encore ne consistera qu’en une pièce, un hall primitif, vaste, grossier, solide, sans plafond ni plâtrage, avec rien que des poutres et des ventrières pour