Page:Thoreau - Walden, 1922.djvu/220

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dont le devoir était d’aller aussi loin que ce fût ; et de temps en temps la cloche de la pompe à incendie tintait derrière, d’un son plus lent et plus assuré, pendant que tout à l’arrière-garde, comme on se le dit à l’oreille plus tard, venaient ceux qui avaient mis le feu et donné l’alarme. Ainsi continuâmes-nous d’aller en vrais idéalistes, rejetant l’évidence de nos sens, jusqu’au moment où, à un coude de la route, entendant le crépitement et sentant pour de bon la chaleur du feu venue par-dessus le mur, nous comprîmes, hélas ! que nous y étions. La simple proximité de l’incendie suffit à refroidir notre ardeur. Tout d’abord nous songeâmes à lui jeter dessus une mare à grenouilles : mais finîmes par décider de le laisser brûler, tant pour être allés si loin c’était peu de chose. Sur quoi nous fîmes le cercle autour de notre pompe, nous entrepoussâmes des coudes, exprimâmes nos sentiments à l’aide de porte-voix, ou sur un ton plus bas rappelâmes les grandes conflagrations dont le monde avait été témoin, y compris la boutique de Bascom ; et, entre nous, nous pensions qu’eussions-nous été là à propos avec notre « baquet », et une pleine mare à proximité, nous pouvions convertir cette suprême et universelle conflagration annoncée en un nouveau déluge. Finalement nous nous retirâmes sans commettre de dégât, – retournâmes au sommeil et à Gondibert. Or, pour ce qui est de Gondibert, j’excepterais ce passage de la préface sur l’esprit qui est la poudre de l’âme, – « mais la majeure partie de l’humanité est tout aussi étrangère à l’esprit que le sont les Indiens à la poudre. »

Il arriva la nuit suivante que passant à travers champs par là, vers la même heure, et entendant partir de cet endroit une plainte étouffée, je m’approchai dans l’obscurité, pour découvrir le seul survivant de la famille que je connaisse, l’héritier à la fois de ses vertus et de ses vices, le seul qu’intéressât cet incendie, couché sur le ventre, et qui regardait par-dessus le mur de la cave les braises encore ardentes au-dessous, en grommelant tout bas, à son habitude. Il avait passé la journée à travailler au loin dans les marais qui bordent la rivière, et avait profité des premiers moments qu’il pouvait dire à lui pour visiter la demeure de ses pères et de sa jeunesse. Il fouilla des yeux la cave de tous les côtés et de tous les points de vue l’un après l’autre, toujours en se couchant pour ce faire comme s’il fût là quelque trésor, dont il eût souvenance, caché entre les pierres, où n’était absolument rien qu’un tas de briques et de cendres. La maison disparue, il en regardait ce qui restait. Il se sentit consolé par la sympathie qu’impliquait ma présence, et me montra, autant que l’obscurité le permettait, l’endroit où le puits était recouvert ; lequel, Dieu merci, ne pouvait avoir brûlé ; et il marcha longtemps à tâtons autour du mur pour trouver la potence que son père